Jérôme
8.1
Jérôme

livre de Jean-Pierre Martinet (1978)

Si je devais choisir quel livre mériterait une critique, ce serait sans conteste le Jérôme de Martinet. En effet, j’en suis encore resté sidéré.
Cela fait plus de un an et demi que Jérôme trône sur ma table de chevet en tyran de mes lectures : insupportable à finir et impossible à abandonner. J’ai donc scrupuleusement inspecté mon humeur et dès qu’une embellie s’affirmait, je me permettais une incursion au pays de Bauche. Mais …
Mais commençons par le début : les bœufs ne s’en porteront mieux et sauront par conséquent encore mieux tirer la charrue. Jérôme, c’est Jérôme Bauche : personnage central aux facettes multiples, plus sombres les unes que les autres, détestable à l’excès. Soyons honnêtes, rien en Jérôme ne peut être qualifié en termes de mignon, joli, tendre. Dire que c’est un monstre serait le plus juste … et même un bon point de départ d’analyse pour montrer justement en quoi il s’échappe malgré tout à son modèle. Donc Jérôme est un monstre déjà par son physique : plus de deux mètres de haut, cent cinquante kilos, imberbe et pourvu d’un appendice sexuel qui semblerait même ridicule sur le Manneken-Pis. Mais l’habit ne fait pas le moine et plus d’un auteur nous a déjà divertis par un physique à l’opposé de la grandeur d’âme. Mais ici non … La stature du personnage serait même plaisante en comparaison à ses pensées, ses actes … Non il rêve de petites filles sur lesquelles il pourrait assouvir ses pulsions, de meurtre, de torture … Quand je vous disais un monstre, Jérôme en est un vrai … Même plus que cela ….
En fait, il est humain, profondément et irrémédiablement, même plus que tous les gentils et bons qu’il rencontre dans ses pérégrinations. Car lui ne se cache pas derrière de beaux discours, les bons sentiments : il est un monstre mais il a besoin qu’on l’écoute, qu’on lui prête attention, qu’on le touche, qu’on l’aime. Parmi tous les protagonistes il est le plus humain : on parvient à comprendre et surtout ressentir comme Jérôme même si c’est insupportable et sordide. Et rien ne nous est caché : son obsession des petites filles, ses petites tortures, ses meurtres, ses étreintes avec une pute amazone pitoyable au cœur aussi grand que son ablation du sein.
N’oublions pas de parler du style si particulier, qui m’a beaucoup fait pensé à Céline au point d’imaginer que Jérôme était une sorte d’enfant monstrueux de Bardamu, plus désespéré, moins révolté et ayant subi une monstrueuse (encore une fois ce qualificatif …) transformation génétique, mi cloporte mi homme.
Quelques citations glanées de çi de là :
« La charcutière en a profité pour m’écraser de sa pitié : mon pauvre Jérôme, mon pauvre enfant, tu diras à ta maman que je lui souhaite un prompt rétablissement. Elle a glissé dans ma poche un sac de bonbons. Une bonne occasion pour m’effleurer la queue au passage. Ce n’était pas la première fois que madame Parnot se livrait sur moi à ces attouchements furtifs. Je me suis reculé instinctivement. Elle a tapoté sa perruque blonde d’un geste désinvolte tandis que je la remerciais humblement. Moi : merci, madame. Je vais les garder pour ce soir pour les manger en regardant mon feuilleton à la télé. Et aussi pour mon lit en lisant Mickey. »
« J’ai commencé à gifler la siamoise sur le museau, gentiment d’abord, comme pour jouer, puis un peu plus fort. Pourtant, il n’y avait rien au monde que j’aime plus que les chats, mais elle non, il n’y avait rien à faire, elle me narguait, elle ne voulait pas m’avouer qui était son amant, elle se contentait d’essayer d’attraper mon nez avec sa patte, comme si j’étais là pour m’amuser. Sale chatte. Il n’y a rien de plus vicieux que les siamoises, toujours en chaleur. Je ne pouvais pas tolérer plus longtemps cette obstination à se moquer de moi. D’une main je lui ai fermé la gueule, pour qu’elle ne miaule pas, et de l’autre je l’ai étranglée. C’est si mince le cou d’un chat, si fragile, on peut le broyer entre ses mains comme un poussin. »
« Décidément. J’avais un goût prononcé pour le ridicule. Je croyais vivre un drame romantique, mais il ne s’agissait peut-être que d’un vaudeville minable, aux relents de draps sales, une caleçonnade sinistre, où le cocu déclenche les rires gras en se cachant dans l’armoire ou sous le lit pour assister aux ébats de sa femme. Solange me répétait souvent : nous cherchons partout l’absolu, et nous ne rencontrons que le grotesque et la dérision. »
Si Jérôme est monstrueux, il peut également générer un rire à son image, lourd, qui vous prend la bouche comme un rictus salvateur. Mais ce rire, cet humour se sont pour moi trop souvent rapidement dissipés pour ne laisser place qu’à une certaine nausée, de plus en plus prégnante au long des pages. Je n’ai jamais pu lire plus de vingt pages d’une traite sans m’arrêter et passer à un ouvrage tourne-page.
Car je dois bien l’avouer, Jérôme, c’est trop fort pour moi et même si c’est un des meilleurs livres que j’ai lu dernièrement, ses relents nauséeux m’empêchent de m’épancher à sa lecture. Mais à toute personne ayant apprécié Céline, je conseille fortement sa lecture : il y trouvera sûrement son bonheur !

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le 9 janv. 2015

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