Pedro Páramo
7.4
Pedro Páramo

livre de Juan Rulfo (1955)

« Je suis venu à Comala parce que j’ai appris que mon père, un certain Pedro Paramo, y vivait. C’est ma mère qui me l’a dit. Et je lui ai promis d’aller le voir quand elle serait morte. J’ai pressé ses mains pour lui assurer que je le ferais, elle se mourrait et j’étais prêt à lui promettre n’importe quoi . »
Ainsi commence donc Pedro Paramo, roman du peu prolifique Juan Rulfo dont le quatrième de couverture nous informe que Rulfo « a marqué un renouveau de la fiction narrative, annonçant la révolution du réalisme magique dans les lettres latino américaines » et que Pedro Paramo « est l’une des plus grandes œuvres du XX siècle, un classique contemporain que la critique compare souvent au Château de Kafka et au Bruit et la Fureur de Faulkner. » Excusez du peu … (on se demande quand même un peu qui est cette critique unanime et dépersonnalisée …). Franchement, une quatrième de couverture comme celle-là, tout le monde s’est déjà fait avoir donc je reste prudent … J’ai finalement sauté le pas à la lecture de commentaires de lecteurs que j’apprécie et du bref incipit ci-dessus.
De cette piste initiale sur la quête d’un père inconnu se noue en de brefs paragraphes sans lien direct de nouveaux récits mettant en jeu différents personnages de Comala. Ces derniers ont une réalité qui leur est propre, relatant des faits remontant à des années bien antérieures à la naissance du fils, et oscillant dans un monde aux frontières étanches entre la vie et la mort.
En effet, l’un des thèmes principaux de ce roman réside dans la mort, omniprésente et plus particulièrement de la rencontre de ce fils avec des âmes égarées n’ayant pas forcément conscience de leur état, ne pouvant se détacher de leurs chaînes du monde des vivants Cette frontière est très floue et élastique tant la plupart des protagonistes apparemment vivants sont éteints et résignés alors que les morts sont bien plus communicants, d’une volubilité à la limite de la logorrhée mais dans un mode quasi exclusif de soliloque. La narration se fluidifie donc peu à peu en y excluant le narrateur fils-initial pour se rapprocher plus de l’épopée. Ces morts à la langue bien pendue dévoilent par bribes l’histoire du village qui ne peut être dissociée de celle du père Pedro Paramo. Cette évocation de ce monde étrange entre vie et mort, mémoire et oubli, empreint certainement de ce fameux réalisme magique m’a amené vers une nouvelle perception du Mexique, bien plus riche et complexe que celle que je m’étais faite sur base des coutumes insolites pratiquées à la Toussaint dans les cimetières. Plus encore, ce récit peut permettre d’introduire une réflexion sur le rapport qu’on entretient avec la mort et d’envisager celle-ci avec de nouvelles clefs.
Autre thème évoqué : le Père. Pedro Paramo est un personnage ambigu, craint et admiré, charmeur et parfois violent. Il est le maître du village aussi bien par son argent, son pouvoir, son ascendant, la crainte qu’il génère, sa prédation des femmes, sa capacité à soumettre. Mais c’est aussi le Père par le nombre d’enfants illégitimes qu’il a « semé » dans les alcoves des jeunes filles du village. Ce double ascendant lui permet de s’octroyer des pouvoirs quasi régaliens sur son petit monde, même sur l’église dont le curé se soumet à sa volonté au-delà de la compromission. Je m’interroge sur le lien qu’on pourrait faire avec une société mexicaine où Pedro Paramo symboliserait le pouvoir entre les mains de quelques grands propriétaires tout puissants, face à un peuple soumis et une église réduite au rôle d’instrument de contrôle et compromise. Ceci ne reste qu’une interprétation personnelle qui s’appuie plus sur des impressions que sur un recoupement de texte.
Au final, cette lecture me laisse quelque peu perplexe. En effet, je me suis souvent perdu dans cette narration aux paragraphes sans lien évident de prime abord. Mais en poursuivant ma lecture, j’ai moins recherché à relier chaque bout de fil de paragraphe et je me suis laissé porter par l’atmosphère propre à ce récit. En fait, ce récit pouvait continuer indéfiniment : c’était comme un parfum enivrant dont la composition des essences m’importait peu. Une fois le flacon fini, il ne reste plus que ce parfum puissamment évocateur d’une atmosphère qui est difficilement descriptible. Pourtant je reste réservé car ma lecture ne m’a pas octroyé autant de plaisir que ce j’escomptais et je me sens inexplicablement frustré d’une lecture dont je n’aurai retiré tout compte fait qu’un sentiment fugace et superficiel. Peut-être trop magique et pas assez de réalisme pour moi….

Créée

le 20 août 2015

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