Lorsque Lovecraft plonge le bout de son nez dans l'univers de la sorcellerie, il ne faut pas s'attendre à des récits gentillets où évoluent chouettes blanches, sorciers à lunettes rondes et matchs de quidditch.


Le mystère, la terreur, la puanteur, le sang, la mort. ÉRADIQUER L'HUMANITÉ.
Voilà qui sonne bien mieux comme but pour tout sorcier.


C'est en effet une sorcellerie très sombre qui prend vie dans cette nouvelle.
La magie noire a choisi d'installer son atelier dans un coin paumé du Massachusetts.



A vendre : maisonnette en bois. Aucun vis-à-vis. Voisins limités mentalement. Construction
modulable en fonction de vos activités commerciales.



Dunwich, c'est en somme l'endroit idéal pour faire sa petite popote maléfique en toute tranquillité.

Tiens, ce pitch me rappelle vaguement une histoire de magie chaotique qui se développe au sein de terres sauvageonnes par-delà un mur... mais passons.


Le récit s'ouvre sur une curieuse naissance. Le messie est arrivé, alléluia. Sa filiation est peu claire : on ne connaît que la mère. C'est le grand père qui élève l'enfant de la bête à coup de grimoires et pratiques occultes. Le petit Wilbur grandit anormalement vite. A trois ans, il en paraît quinze, apprend-on... Les deux oiseaux de malheur, grand-père et petit-fils, semblent préparer une bien mauvaise soupe. Jamais il n'est dit de quoi retourne leurs messes basses. Nos seules données de lecture : on entend des bruits atroces lors de leurs manipulations et l'espace semble manquer au fur et à mesure des pratiques.


C'est les recherches malsaines du petiot qui vont préciser les desseins glauques de la famille. Au lieu de regarder en cachette des films porno dans sa chambre, Wilbur transgresse à sa manière en feuilletant le prestigieux Nécronomicon. On y apprend qu'il cherche à invoquer des choses peu nettes voire opaques. C'est à cette occasion qu'on rencontre d'ailleurs l'un des seuls humains sensés de cette histoire : le bibliothécaire.


Et là, c'est le drame. Ce passage marque, à mon sens, un basculement dans la nouvelle. Les procédés de mise à distance étant déjà déployés par l'auteur (jamais on ne sait ce qu'il se passe exactement dans la maudite chaumière qui sent mauvais), un fossé va littéralement être creusé entre le lecteur et l'avancée du récit.


Le Mal n'est pas incarné par le Wilbur mi-bête, mi-homme, mi-Cthulhu. Le coupable, c'est le bibliothécaire. Ce personnage de l'érudit endosse tous les rôles clés : il voit venir le Mal, il enquête, il résout seul une colossale énigme de cryptologie, il informe et guide les villageois paumés et va finalement déloger seul la bête de son antre. Monsieur-je-sais-tout détient fermement les clés de l'histoire. A l'instar de l'auteur, il donne des ordres aux bêtes villageois (ou aux simples lecteurs) et il veille à bien les tenir à l'écart. Ce mec à petites lunettes et pile de livres sous le bras a planté une nouvelle qui avait tout pour plaire...


"Tout est sous contrôle, circulez, il n'y a rien à voir ma petite dame."
Même la scène ultime du combat (de l'immortel.com) n'est accessible pour le lecteur que via les commentaires patoisants des villageois. Ceux-ci observent en effet la scène à l'aide d'une longue-vue. Niveau sensationnel, on a vu mieux... D'autant que les pauvres bougres sont apeurés, bégayent et se relaient.


Au final, on est tellement tenus à distance qu'on ne parvient pas à s'imprégner de l'atrocité et de la cruauté qui planent sur Dunwich. La nouvelle se clôt sans réel frisson. Consolons-nous avec nos découvertes en matière d'ornithologie. Oui, les piafs, en nuée, ça fait toujours son petit effet sur le palpitant.

Miss_Cobblestone
4

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le 26 oct. 2016

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