Retour de lecture sur “L’amour aux temps du Choléra”, un roman du Colombien Gabriel García Márquez, prix Nobel de littérature, publié en 1985 dans sa version originale. Deuxième lecture pour moi de cet auteur après le très bon “Chronique d’une mort annoncée”, il y a bien longtemps. Je retrouve donc avec grand plaisir cet auteur célèbre.


Ce livre raconte l'histoire d’amour entre un jeune poète et violoniste Florentino Ariza et une écolière Fermina Daza. Elle débute lorsqu’ils sont jeunes, dans une petite ville des Caraïbes, au nord de la Colombie. Sous les amandiers d’un parc, Florentino fait le serment de l’aimer éternellement et elle accepte de l’épouser. Pendant trois ans, ils ne se verront que très rarement, leur amour n’étant pas officiel, mais ne cesseront de penser l’un à l’autre, d’échanger des lettres et de rêver l’un de l’autre. Malheureusement les circonstances de la vie les séparent et Fermina épouse finalement un parti bien plus sécurisant, Juvenal Urbino, un médecin riche, et mène avec lui une vie de famille stable. Pendant ce temps, Florentino aura une multitude d’aventures toutes clandestines, mais son cœur restera fidèle à Fermina, et il fera tout son possible pour se faire un nom et une fortune pour mériter son amour. Après la mort de Juvenal Urbino, plus de cinquante ans après leur rencontre, Florentino se rend chez Fermina et tente à nouveau sa chance.


Le livre parle de l'amour véritable et essaye de donner une réponse aux questions suivantes. Peut-il résister à l'épreuve du temps et aux aléas de la vie ? La passion et la fidélité peuvent-ils triompher des obstacles ? Tout dans ce livre tourne autour de l’amour, avec un grand A. On suit ainsi les deux personnages principaux à travers leurs parcours amoureux respectifs, en commençant par les premiers émois de l’adolescence, jusqu’à leur amour apaisé dans la vieillesse, en passant par une vie de couple et de famille stable et tranquille pour elle, et de célibataire endurci qui enchaîne néanmoins les relations sentimentales et physiques pour lui. L’auteur traite de manière originale l'histoire d’un trio amoureux, puisque celle-ci se déroule sur pratiquement toute une vie. Tous les aspects ou formes de l’amour apparaissent un moment donné dans ce roman, l’amour romantique, passionnel, inconditionnel, éternel, marital, exclusif, platonique, persistant, non réciproque, l’amour qui s’éteint, qui reprend vie.


J’ai retrouvé avec grand plaisir le style de l’auteur, c’est superbement bien écrit avec beaucoup de finesse et de délicatesse. Même si cela est très classique, on s’ennuie très peu, l’histoire est très riche et la lecture reste toujours intéressante. On voyage dans le temps sur pratiquement un demi-siècle, mais aussi géographiquement dans toute cette région de Colombie du nord, enrichie par certains lieux imaginaires. L’ambiance humide de la Colombie et des Caraïbes au début du XXe siècle, avec son contexte sanitaire et le choléra qui décime les populations les plus pauvres, est très bien rendue et très crédible. Un excellent roman d’un point de vue littéraire, une traduction visiblement de très bonne qualité, et on comprend dès les premières lignes qu’on a affaire à un très grand auteur.


C’est un livre dont j’ai apprécié la lecture mais avec néanmoins quelques gros bémols. J’ai d’abord trouvé d’une manière générale que le roman, malgré son écriture très poétique, était empreint d’une misogynie rampante assez désagréable. J’ai trouvé que le rôle des femmes et leurs portraits ne sont jamais très flatteurs, mais on peut, à la décharge de l’auteur, mettre cela sur le compte de l'époque patriarcale où se passe l’histoire. Il y a ensuite également l’histoire avec cette fille, America Vicuna, une des jeunes conquêtes de Florentino, qui à 14 ans, est très amoureuse et apprécie leurs relations sexuelles, alors qu’il a 76 ans. Vu la manière dont tout cela est raconté, on peut au-moins parler de complaisance pour la pédophilie. Puis il y a quelques autres scènes, notamment l’une à propos d’un viol sur des quais que je trouve particulièrement choquantes, qui dénotent d’une vision de la femme très discutable, d’un manque d’empathie et d’une indulgence évidente face aux abus sexuels. Après l’affaire de l’infâme Matzneff, tout cela ne passe vraiment plus.


Pour conclure, ce livre m’a donc laissé sur ma faim. Le bonheur de lire un grand classique, une belle fresque sur l’amour, magnifiquement bien construite et écrite, a fortement été gâché par le fait qu’il a été écrit à une époque, au milieu des années 80, où le monde artistique, notamment littéraire, était souvent complètement à côté de la plaque sur certains sujets. Beaucoup diront que c’est de l’art, oui, peut-être, mais quand c’est teinté de misogynie et qu’il a des relations qui relèvent clairement de la pédophilie qui sont présentées comme normales, c'est tout de même très dérangeant. A l’heure de MeToo, Il est même étonnant de constater que cet aspect soit si rarement abordé dans tout ce que l'on peut lire sur internet à propos de ce livre.


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"Telle fut l'innocente façon dont Florentino Ariza inaugura sa vie mystérieuse de chasseur solitaire. Dès sept heures du matin, il s'asseyait seul sur le banc le moins visible du parc, feignant de lire un livre de poèmes à l'ombre des amandiers, et attendait de voir passer la jeune et inaccessible demoiselle avec son uniforme à rayures bleues, ses chaussettes montant jusqu'aux genoux, ses bottines à lacets de garçon et, dans le dos, attachée au bout par un ruban, une natte épaisse qui lui descendait jusqu'à la taille. Elle marchait avec une arrogance naturelle, la tête haute, le regard immobile, le pas rapide, le nez effilé, son cartable serré contre sa poitrine entre ses bras croisés, et sa démarche de biche semblait la libérer de toute pesanteur. A son côté, allongeant le pas à grand-peine, la tante, avec son habit de franciscaine, ne laissait pas le moindre interstice qui permît de s'approcher d'elle. Florentino Ariza les voyait passer quatre fois par jour, à l'aller et au retour, et une fois le dimanche à la sortie de la grand-messe, et la vue de la jeune fille lui suffisait. Peu à peu il se mit à l'idéaliser, à lui attribuer des vertus improbables, des sentiments imaginaires, et au bout de deux semaines il ne pensait plus qu'à elle."


Daniel_Sandner
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le 13 mai 2025

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Daniel SANDNER

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