Difficile de ne pas faire un parallèle entre cet ouvrage et La guerre des Gaules de César.
- D'abord pour la propension de chacun des auteurs à parler à la troisième personne.
- Ensuite pour la volonté de créer son propre mythe, ici en développant une thèse simple : si la république ne s'est jamais arrêtée pendant la guerre, c'est grâce à De Gaulle et à son appel du 18 juin 1940.
- Enfin dans la prétention historique de l'ouvrage, qui reprend en détail la trame des faits (De Gaulle joint même pour chaque tome une annexe de documents personnels, qui ont été transmis aux archives nationales), mais pour en imposer une vision unique, rétrospective. Il faut prendre avec prudence les affirmations de De Gaulle, qui bizarrement ne fait jamais aucune erreur, et dont toutes les intuitions se vérifient dans les faits. On est tenté, à le lire au premier degré, de lui prêter un sens politique hors du commun. Je ne dénie pas qu'il en avait. Mais il faut garder la mesure.
Ce premier tome est sans doute le plus prenant, car le premier tiers est consacré à la défaite de juin 1940, avec les années d'incertitude qui la précèdent, puis l'atmosphère de décomposition du haut commandement français, et cette réaction qui arrive trop tard de faire confiance à De Gaulle dans l'idée qu'il faut miser sur des colonnes blindées et de la force aérienne. De Gaulle croque au passage un Weygand dépassé, et un Pétain misant sur la défaite pour se placer en haut. Paul Reynaud est épargné, montrant comme un homme brillant qui ne peut plus compter sur une armée qui joue la défaite, et qui ne peut mettre en oeuvre l'idée de De Gaulle de continuer le combat depuis le Maghreb.
Début très prenant, mais passé la première moitié, quand De Gaulle s'installe à Londres, puis mène campagne pour obtenir le ralliement de l'AEF, puis des anciens mandats français du Levant, on entre tout de suite dans de la cuisine politicienne qui montre le véritable caractère du personnage. De Gaulle lui-même oeuvre à démystifier son propre personnage, pour peu qu'on sache lire entre les lignes.
Car il est vite très peu question de stratégie, de troupes, etc... Le seul point qui importe, pour De Gaulle, c'est de faire reconnaître la France libre comme seule légitime. Et l'on sent comme il enrage contre Roosevelt de continuer à chercher à traiter avec Vichy ; contre les troupes anglaises, qui installent des points d'appui au Liban, quand De Gaulle voudrait y avoir un domaine réservé ; combien il regarde de haut la libération de Madagascar, dans la mesure où elle se déroule sans lui.
De Gaulle ne cache pas un de ses échecs les plus cuisants : la tentative de prise de l'AOF avec le stationnement d'une importante force marine devant Dakar. Mais il en attribue la responsabilité la fois aux circonstances (un brouillard qui empêche la présence des bateaux alliés de jouer son plein rôle psychologique) et aux Anglais (attribuant la paternité du plan au seul Churchill, et critiquant le retard des Anglais dans la communication de l'avancée d'une flotte vichyste en renfort de celle de Dakar).
Bref, cela confirme ce que je pensais de De Gaulle : un politique bien plus qu'un militaire. Et on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec Pétain : si ce dernier a joué la défaite pour se mettre à la tête de la zone occupée, De Gaulle fait de même pour incarner la France libre, et s'assurer le monopole de la légitimité de la résistance. On notera au passage, sans grande surprise, une aversion pour la démocratie parlementaire assimilée à des combinaisons et des postures, ainsi qu'une utilisation systématique du communisme comme d'un épouvantail. Il y a une page particulièrement infâme dans laquelle De Gaulle jubile d'avoir réussi à faire accepter son autorité aux FTP (Francs-Tireurs et Partisans, communistes). Il se réjouit de les avoir mis "sous [s]a coupe". La peur que la France bascule dans le communisme à la Libération est une motivaiton de son combat à peu près autant que la lutte contre le nazisme (qui au fonds est assez peu dénoncé en lui-même, sinon pour les souffrances qu'il inflige aux Français).
Concernant la langue, c'est du De Gaulle : un espèce de Chateaubriant mâtiné de morgue militaire, assez ridicule. A lire à haute voix en imitant la voix de Mongénéral pour une expérience parfaite.
Pour résumer, ces mémoires alternent de longs passages énumérant les calculs politiques de De Gaulle pour peser au sein du camp allié, et des catalogues d'unités présentes sur tel ou tel théâtre. Au fonds, les meilleurs passages sont ceux qui tracent à gros traits l'ambiance d'un moment particulier de la guerre. Ils sont cependant peu nombreux.