Indémodable

Grand classique de la littérature américaine, l’Attrape Cœurs ( le titre original The Catcher in the Rye est bien meilleur) qui date pourtant de 1951, nous marque immédiatement par son côté intemporel et indémodable.

Roman captivant, inclassable, complètement à part, mais au caractère paradoxalement universel, il est d’autant plus extraordinaire qu’il ne comporte aucune véritable histoire, intrigue, ni suspense particulier.

Le livre raconte simplement 2 ou 3 jours dans la vie d’un jeune lycéen américain de 16 ans, qui est par ailleurs exclu de son lycée, non pas à cause de son comportement ou de ses convictions, mais simplement pour ses résultats insuffisants (c’est un lycée très select). Comme il ne veut ni rester dans l’établissement ou il est pensionnaire, ni rentrer tout de suite dans sa famille, car il souhaite retarder le moment de leur annoncer la mauvaise nouvelle, il ère un peu dans sa ville, à savoir New York. Le tout est rédigé à la première personne et il est autant question des ressentis et des jugements du héros que des péripéties qui lui surviennent.

Si le livre est inclassable c’est d’abord parce qu’il évite tous les biais et tous les à priori que l’on serait tenté d'avoir sur ce type d’histoire en lisant simplement son synopsis. Pour commencer, l’Attrape Cœurs n’est pas exactement le récit d’une rébellion d'ado. Holden Caulfield est un fils de bonne famille, aimé par ses parents, qui n’est pas animé par le colère ou la haine, ni contre eux, ni vraiment contre personne d’ailleurs. Ceci-dit, il n’est pas vraiment animé par la honte de l’échec non plus. Ensuite le livre n’a rien de politique, le héros ne veut pas changer le monde, n’a aucune idéologie construite et ne prêche pour aucune paroisse particulière.

Mais il ne s’agit pas non plus d’une errance, d’une rupture ou d’une fuite en avant. Le héros ne sèche même pas les cours, puisque il est de toute façon exclu de l’établissement et prend simplement un peu de temps avant de rentrer chez-lui. Rien de vraiment extraordinaire dans les péripéties qui lui arrivent : il n’est pas agressé par des voyous , il ne prend pas de la drogue, ne veut pas se suicider. A la place il marche (beaucoup), voit furtivement quelques amis, essaye vaguement de draguer sans concrétiser, et retrouve sa petite sœur en cachette de ses parents. Surtout, il réfléchit sans relâche, sur lui même et sur les autres.

C'est tout ? Oui vraiment et pourtant il s’en passe tellement des choses dans ce livre. La première chose qui frappe en le relisant en 2025, c’est à quel point il n’a pas pris une ride et reste d’actualité. Quand on lit les réflexions d’ Holden, on est assez frappé par sa lucidité et sa maturité. Mais c’est oublier aussi que l’on est bien plus jeune à 16 ans aujourd’hui que dans les années 50. Si on devait transposer l’histoire en 2025, l’équivalent de Holden Caulfield serait probablement un jeune homme de 26 ou 27 ans.

Mais surtout, ce que le livre parvient magistralement à saisir c’est la force d’une personnalité hautement Individuelle dans une société, minée par le conformisme où chacun est censé tenir son rôle et rester à sa place. Holden n'est pas un rebelle ou un écorché vif, mais simplement quelqu’un qui ressent les choses d’une façon un peu plus intense que les autres et qui possède une sensibilité et une intelligence vive qui n’est absolument pas (à ce stade de sa vie) valorisée ou reconnue par le système.

L'Attrape Cœurs sera le seul roman de son auteur J.D Salinger, qui deviendra par la suite un reclus. Officiellement, il n'est pas autobiographique, mais pourtant le thème du repli sur soi- même et de l'exclusion sociale, qui apparaissent fortement à travers ses lignes, ne peuvent que nous interroger, tout en ayant largement contribué à la fois à la légende de l'ouvrage et à celle de son auteur.