Aucune critique de l'Élu des Six Clans ne peut faire l'impasse sur sa prodigieuse couverture, d'un calibre inégalé depuis la Grande Menace des Robots. Elle la surpasse même en empilant méthodiquement les couches de WTF les unes après les autres : le regard est sans cesse attiré par un nouveau détail absurde, du cache-œil du barbare aux tigres à dents de sabre qu'il chevauche au faucon qui le suit toutes ailes déployées à la tête de loup en métal qui protège ses gonades… Allez-y, essayez de décrire ce tableau à un proche sans qu'il vous regarde avec les yeux ronds, l'air de penser que vous vous payez sa tête. Et le pire, c'est qu'elle représente fidèlement une scène du livre !


Avec une telle mise en bouche, le lecteur est en droit d'espérer quelque chose d'un peu plus épique que les mornes Gouffres de la Cruauté. L'introduction est prometteuse de ce point de vue : le héros est appelé à régner sur le Kazan, une région peuplée de tribus nomades d'inspiration turque / mongole, mais il doit auparavant réussir une série d'épreuves et triompher du méchant vizir Chingiz qui ne rêve que de conserver le pouvoir pour lui-même. Le temps joue également contre lui : blessé par un assassin à la solde du vizir, il doit se hâter avant que le poison à action lente qui lui a été inoculé ne le tue.


Appétissant ! Un cadre original, une menace permanente, voilà qui promet ! Malheureusement, c'est Luke Sharp qui est aux manettes, et s'il a visiblement appris de ses erreurs, le résultat laisse encore à désirer. On retrouve ici une bonne partie des défauts qui rendaient les Gouffres de la Cruauté pénibles :



  • une prose trop laconique, qui peine à donner chair aux décors, aux personnages et aux monstres (en fin de compte, c'est principalement l'onomastique qui assurera le dépaysement : remplacez les noms d'inspiration turque / mongole par des noms d'inspiration germanique et vous avez plus ou moins un cadre d'heroic fantasy lambda) ;

  • une architecture bancale, avec beaucoup trop de choix gauche-droite non informés et trop de scènes reliées de manière aléatoire (le héros se retrouve fréquemment enlevé et doit assister impuissant à son déplacement du point A au point B, ce qui rend le livre presque impossible à cartographier et nuit à l'idée qu'on est en train de lire un livre dont on est le héros) ;

  • une difficulté trop mal dosée, qui repose trop sur la chance pure et simple et pas assez sur les choix et les compétences du héros (on retrouve à plusieurs reprises le « jette deux fois deux dés, si la somme des deux premiers est supérieure à la somme des deux derniers T'ES MORT » qui est insupportablement arbitraire et donne fâcheusement l'impression d'être un spectateur passif, encore une fois).


Ceci étant dit, l'Élu des Six Clans n'est pas sans qualités. La construction bizarre de l'aventure rend les relectures profitables : c'est sans doute l'un des livres les moins linéaires de la série, il y a toutes sortes de péripéties qui ne se dévoilent qu'au bout de deux ou trois tentatives, ce qui est toujours appréciable. Certaines de ces péripéties sont plutôt bien vues (on peut croiser un PNJ des Gouffres de la Cruauté qui est plus mémorable que tous ceux que contenait ce livre), même si le style de Sharp ne leur fait pas honneur. Le livre propose aussi plusieurs mini-jeux pour représenter les épreuves que le héros doit surmonter pour prouver qu'il est digne de son héritage, c'est une idée amusante (même si j'avoue ne pas avoir eu le courage de les faire à la loyale).


En fin de compte, qualités et défauts s'équilibrent pour faire de l'Élu des Six Clans un livre moyen. Il m'aura laissé davantage de regrets que de bons souvenirs, mais les progrès par rapport aux Gouffres de la Cruauté sont indéniables, et après un Livingstone linéaire comme un double décimètre, c'est une vraie bouffée d'oxygène de se promener dans une aventure aussi ouverte.

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le 4 nov. 2017

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Tídwald

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