Qu’on puisse tirer de la figure du zombie quelque chose d’intéressant me paraît indéniable. Que l’amateur de gros sang qui tache, de films de série B et d’humour de série Z trouve chaussure à son pied avec l’Évangile cannibale, cela ne m’étonnera pas. Que dans son édition originale le livre lui-même soit atrocement laid et présente des particularités (1) que même un lecteur aguerri n’aura sans doute jamais vues, c’est encore une autre évidence, qui ferait presque son charme.
Donc voilà : après quarante jours de réclusion dans un mouroir, une grosse douzaine de vieillards parcourent Paris et une proche couronne livrées à des zombies à peine moins valides qu’eux. On comprend assez vite – et l’interview de l’auteur en fin d’ouvrage le confirme – que la structure de leur errance est calquée sur l’évangile de Matthieu, apparaissant ici sous le nom de Matt, le narrateur (l’apôtre Jacques est « jacky », Jean « yan », etc.).
Là où l’Évangile cannibale déçoit, c’est que cette idée ne tient pas sur la durée. Je crois que c’est impossible, tout simplement, quelque application qu’on y mette, même avec la meilleure volonté du monde, ou alors on est un auteur génial. Et avec tout le respect qu’on lui doit, Fabien Clavel ne l’est pas.
Une fois qu’on a dit que la condition zombie n’est pas si éloignée de la façon dont les vieillards sont traités dans les asiles (2), et d’une façon générale de la condition humaine (« Ces zombies sont un symptôme », p. 179), une fois qu’on a insisté sur les liens avec la Bible (il y a aussi Adam et Ève, et des pommes dans le jardin du Luxembourg), une fois qu’on a tenté de légitimer la littérature de zombies en faisant allusion à Nerval et Hugo, une fois qu’on a montré qu’on avait le sens de l’humour (« Un vieux qui meurt, c’est un disque dur externe qui grille. Alors quatorze, ça faisait une baie de stockage ! », p. 72), – que reste-t-il ?
Les considérations existentielles restent limitées – mais encore une fois pouvaient-elles ne pas l’être ? –, le lien avec les Écritures ne fait plus sourire que de temps à autre (la mort de Judas, présent sous le surnom d’« anus artificiel »), les références intertextuelles prennent quelque chose de forcé et les blagues finissent par tourner à vide. Car ce qui résumerait l’Évangile cannibale, c’est l’insistance.
Deux cent cinquante pages, c’était sans doute trop. D’autant que le manque de fiabilité du narrateur, qui aurait pu apporter de la richesse au récit, n’est finalement jamais vraiment exploité – sinon pour nous dire le narrateur n’est pas fiable. Oui, mais alors quelles conséquences ? C’est là que ce serait devenu intéressant, mais l’Évangile cannibale ressemble à un homme qui donne des coups de pelle sur le sol sans jamais creuser.


(1) J’ai mis un moment à comprendre que les passages entre le signe < et le signe > figuraient des italiques. Et j’aurais pu croire que l’irruption des huit dernières pages au milieu du bouquin étaient un genre d’entracte, – ou la métaphore d’une maladie envahissante.
(2) Oui, à une époque, on ne disait pas quatrième âge, ni EHPAD, et pourtant on utilisait un vocabulaire respectueux. On s’occupait des infirmes et des grabataires avant de penser à leur soutirer toutes leurs économies en prestations médicalisées. Dingue, non ?

Alcofribas
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le 11 août 2019

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