En 1984, on réédita les premières nouvelles de celui qui, une dizaine d'années auparavant produisait un livre considérable, L'Arc-en-ciel de la Gravité, valant à son auteur un National Book Award. Lors de la remise du prix, on employa un comique méconnu : Irwin Corey, déblatérant un discours de remerciements insensé devant une assemblée qui, ne connaissant pas le visage de Thomas Pynchon, prit l'échevelé de la tribune pour le lauréat. Désolé, c'est un faux numéro.
Cette même année une polémique au sein du comité Pulitzer éclata entre un jury qui recommanda d'une seule voix l'opus de Pynchon à des administrateurs qui n'y voyaient que de l'illisible et de l'obscène. Le prix ne fut d'ailleurs jamais décerné cette année-là. Allo, allo ? Il n'y a personne ...

De Pynchon, d'emblée, on ne sait pratiquement rien. Il y a des monstrueux romans, bien entendu, mais qu'il ne commente jamais. Quelques vieilles photos d'un étudiant, d'un marin dont les états de service ont été perdus dans l'incendie ravageant un bâtiment d'archives, celle d'un jeune homme au sourire étrange, quelques articles dont un qui se demande si c'est cool d'être luddite, des préfaces dont une de 1984, une ou deux apparitions dans les Simpsons le visage caché sous un sac en papier, une séquence paparazzée par CNN dans laquelle on voit, derrière un filtre bleu et flou caractéristique des images d'OVNI, un badaud, casquette des Yankees vissée sur le crâne, être observé comme une tache que nous présumerions être le monstre du Loch Ness. Et une interview qu'il accordera en échange de la non-diffusion de cet improbable document dans laquelle il rétorquera à ses pisteurs : « Je crois que reclus est un mot de code utilisé par les journalistes et qui signifie qui n'aime pas parler aux reporters ».

Sans parvenir à être exhaustif -et qui pourrait l'être en la matière?- il est néanmoins aisé de saisir quelle importance peut prendre, dans ce contexte, la longue introduction de ce recueil, signée par Pynchon lui-même. C'est, du moins à ma connaissance, le seul commentaire que cet auteur ait jamais rendu public sur son propre travail. Slow Learner (titre original) aurait tout aussi bien pu nous parvenir sous le nom de l'Attardé. Non pas le débile, mais celui qui met plus de temps que ses petits camarades : il faudra encore attendre six années avant la sortie de Vineland. Pynchon s'y veut humble et pédagogue, bienveillant pour les jeunes écrivains (lui y compris à qui il paierait bien un demi si l'on pouvait remonter le Temps), il a en revanche la dent plus dure pour ses nouvelles de jeunesse qu'il compare à des chèques annulés, et ira jusqu'à mettre en doute la valeur de roman qu'on prête à Vente à la Criée du Lot 49. Mauvaise oreille en ce qui concerne les accents (ce que le lecteur français sera de toute façon assez incapable de juger), manque de maturité en ce qui concerne quelques sujets triviaux comme la Mort ou la Paternité, aveu larvé d'un plagiat d'un des premiers guides touristiques dans Sous la Rose qui, revu et corrigé, constitue aussi un chapitre de V. ,quelques erreurs dûe à la paresse d'une documentation se limitant à une expression lue derrière une pochette de disque, etc ... Bien des choses, à vrai dire, qui n'affecteront pas beaucoup le lecteur moyen. Les autres trouveront aussi explicitées un certains nombre de références qui ont inspiré ou inspire encore l'auteur ... dont Henry Adams et son Education qui « se poursuit toujours. »

Quant aux nouvelles ? J'imagine que pour le lecteur profane, celui qui n'aurait alors jamais lu un seul roman de Pynchon, il serait aisé de proposer un recueil bien meilleur. Pour les initiés, les nouvelles prennent de la saveur du fait de l'écho que certains éléments renvoient depuis les autres livres. L'histoire scientifique (notamment dans Entropie), les soldats, la mer, la bande de gosses comploteurs, la première apparition de V. et de Pig Bodine sont autant d'œufs de Pâques qu'on découvre sans vraiment les chercher. Dans une œuvre collective, Face à Pynchon, réunissant quelques uns de ses traducteurs et confrères admirateurs, on apprend de Claro que l'Américain, après son premier roman, traversa une crise d'inspiration décrite dans une lettre à son agent à qui il annonce enfin qu'il a le projet de quatre (4!) romans qu'il mènera de front, et qui si ils arrivaient bel et bien à être couchés sur papier donneraient lieu à « l'évènement littéraire du Millénaire. » ... on apprend aussi que la rédaction de Mason & Dixon, fut entamée avant celle de Vineland. Bien des lecteurs de Pynchon sont parfois saisis par cette impression qu'il y a en une seule poignée de pages trop d'informations et de trouvailles pour un seul cerveau humain. Lui, semblait avoir déjà toute l'œuvre de sa vie en tête. En matière d'imagination, Pynchon, concoure sans conteste dans la catégorie des poids lourds -peut-être bien pour ça qu'il néglige l'importance de Vente à la Criée?- et peut-être que la satisfaction la plus flagrante que puisse apporter l'Homme qui Apprenait Lentement est le fait qu'un tel auteur se soit très rapidement confronté à son Everest.

Bref ... cette préface constitue encore un beau pied de nez à destination de ceux qui voulaient percer le mystère Pynchon : circulez : il n'y a rien à voir d'autres que ce qu'il nous donne déjà à lire par ailleurs.
Sloth

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