L'Idiot
8.4
L'Idiot

livre de Fiodor Dostoïevski (1870)

Face à l’encre qui a coulé sur le génie qu’est Dostoievski, je me sens tout petit, et je ne peux proposer une critique qui vaille la peine d’être rangée à coté de celle des autres, ceux dont cet exercice est le métier. Toutefois, je m’arrêterai sur un élément qui m’a bouleversé dans la lecture de cet ouvrage, je veux dire la bonté immuable de notre héros, sa conscience aigüe de la vie et des autres, la force de ses émotions et son empathie qu’il ne peut, à cause de son idiotie, dissimuler comme le font ses contemporains, eux vivant dans une société Russe gangrenée par les affaires, les calculs, les mariages arrangés et autres manoeuvres en tout genre.

L’Idiot, c’est l’histoire d’un jeune homme, le Prince Mychkine, qui, après des années passées dans un sanatorium en Suisse pour traiter son épilepsie, revient dans sa Russie native, un titre de noblesse et un certificat de recommandation en poche. Nous suivons sa progressive infiltration des cercles très fermés de la haute-société Petersbourgeoise du XIXème siècle.
Pour faire débuter son roman, Dostoievski avait imaginé le retour sur Terre d’un personnage divin, christique et de le confronter aux caractéristiques de la société de son temps. Evidemment, si l’on peut ici voir un moyen pour décrire en profondeur la société Russe de son époque, c’est surtout un prétexte pour accentuer le décalage provoqué par l’arrivée d’une figure sainte dans la société Petersbourgeoise de l’époque et toutes ses caractéristiques, ses moeurs, et d’interroger la présence d’un tel Idiot dans n’importe quelle structure sociale.
Dés lors, le sujet principal du roman s’avère être la confrontation d’un être bon, tellement simple et honnête qu’il confine à l’idiotie, au monde et tout ce qu’il peut avoir de bas, de lamentablement trop humain. La haute-société qui est dépeinte est un microcosme où les personnages jouent, où les familles, guidés par leurs intérêts classistes, sont hypocrites et dissimulateurs entre eux, calculant la majorité de leurs actes pour satisfaire leur intérêt propre.

Face a l’intransigeance de ce monde, le Prince, malade et naïf, est initialement placé en situation d’infériorité du fait de son handicap, moqué par ses interlocuteurs. Néanmoins, un héritage fortuit combiné à la pertinence et à la profonde sincérité de ses réflexions, ainsi que la candeur avec laquelle il s’adresse aux autres, dénuée de cet enrobage hypocrite imposé par la bienséance des moeurs marque en profondeur ses interlocuteurs les plus acerbes, interloqués par tant d’humanité dans l'expression. En effet, l’enjouement béat avec lequel il exprime des idées et des sentiments tellement profonds qu’ils sont totalement inhabituels en société laisse ses interlocuteurs désarçonnés, seuls face à leur perfidie, surpris par tant d’honnêteté et de profondeur de coeur. Le Prince peut-être Idiot, mais c’est justement en ceci qu’il n’a pas conscience de ce que les gens pourraient penser de lui et qui, dés lors, vit au gré de son coeur, et n’a par exemple pas honte d’aimer, pas honte de déclarer avec ardeur sa flamme en plein diner mondain à la femme la plus belle mais aussi la plus crainte du pays (Nastassia Filippovna).

L’Idiot c’est celui qui nous permet de nous rappeler en l’imaginant rougir en public suite à une question indiscrète ou provocatrice concernant l’objet de son amour, que ce malaise, ce rougissement timide et réservé face aux autres n’est rien, et surtout pas humiliant (même si lui l’est) car on comprend directement en l’imaginant que ce rougissement est simplement l’expression naturelle et nécessaire du désir d'un être humain, qu'il ne fait que trahir les nobles sentiments qu’un individu « idiot » n’arrive pas à dissimuler a la société. Un individu qui n'aurait pas été idiot aurait absolument dissimulé ce sentiment en public (par orgueil, par pudeur, par calcul et par bien d'autres choses).

C'est ce point de vue sur le Prince qui m'a absolument bouleversé à la lecture de ce roman. Cette façon d'être du Prince rappelle celle du Christ, et cela permet de nous interroger sur la possibilité de vivre en société avec un tel personnage. Qu'adviendrait-il de nous et de notre rapport aux autres si nous nous comportions comme le Prince, si nous ne dissimulions rien et que nous étions vrais tout le temps, disions ce que notre coeur ressent profondément à chaque instant ? Cela me parait une chose magnifiquement noble, presque artistique. Dans ce cas là, l'Idiotie n'est-elle pas une noble qualité ? Pourrait-on réellement nous en vouloir si nous laissons parler notre coeur comme le fait le Prince malgré lui ? Spinoza a-t'il raison quand il annonce dans son Ethique que l'Amour nous sera rendu par l'Amour en retour ?

Ce roman défend indubitablement une idéologie de l'existence, une idéologie magnifique dont j'ai eu envie de m'inspirer pour vivre ma vie une fois avoir fermé ce roman, m'inspirant de ce Prince.
Cet Idiot considère la beauté dans chaque chose qu'il trouve, est d'une étonnante sensibilité et vit avec intensité chaque instant que Dieu lui offre tout en étant honnête et bon avec les autres. Peut-être que finalement cet "Idiot" fait une experience de la vie plus profonde qu'un grand nombre de personnes qui, esclaves de leurs passions,se focalisent d’avantage sur ce que l'extérieur pourra penser d'eux plutôt que d'affirmer réellement qui ils sont et vivre une vie réellement heureuse.

Ce roman est le plus beau roman que j'aie pu lire. Dostoievski est un génie pour mettre des mots sur des sentiments aussi profonds, sur des reflexions d'une multitude de personnages tout aussi complexes. Dostoievski est tout simplement le meilleur peintre de la réalité qui ait pu être.

antoninlfx
10
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le 19 juil. 2019

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antoninlfx

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