Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Il est aventureux et ambitieux d’essayer de résumer ce livre qui joue sur les complexités et les possibilités multiples de la narration. Les personnages se croisent, fuient, disparaissent, se retrouvent, se confondent…On entre dans un véritable labyrinthe. En effet, le lecteur est invité à suivre plusieurs trames narratives qui s’entrecroisent. Donc pour faire une tentative rapide, le nœud principal raconte une enquête menée par une sorte de mini ligue de gentlemen hors-du-commun (On y trouve un alias de Sherlock Holmes et tout ce beau monde court après un cousin de l’infâme docteur No. On sent dès le début le jeu de références que l’auteur va utiliser tout au long du roman). Ces messieurs sont chargés de retrouver un diamant célèbre volé à une aristocrate farfelue. Nos enquêteurs ubuesques vont être embraqués dans un tourbillon d’intrigues, de manigances et de retournements de situation. Le lecteur passe du transsibérien à un zeppelin de luxe, sans mentionner tous les autres moyens de transports inattendus qui vont se succéder. Toutes ces aventures mèneront les personnages vers le fameux point Némo évoquer par le titre.


Voila ce qu’on peut dire rapidement de l’intrigue principale. Mais c’est là où les choses se compliquent. Cette enquête improbable est entrecoupée par d’autres histoires qui vont petit à petit plus ou moins trouver un lien avec ce qui nous occupait l’esprit. Le livre se déroule comme une espèce de cadavre exquis. Et de fait, plusieurs histoires relèvent pratiquement du surréalisme. Pour ces récits annexes on quitte l’univers fantasmatique et steampunk pour se retrouver dans un monde cru et parfois tristement réaliste qui tranche fortement. On découvre ainsi une employée persécutée sexuellement par son patron vicieux et sa voisine folle, un chef libidineux d’une entreprise qui produit des liseuses et qui par ailleurs est un aficionado des pigeons-voyageurs et des seins de ses secrétaires, des employés d’une fabrique de cigare envoutés par la lecture des grands textes et un couple dans lequel l’homme a perdu la capacité de dresser son mat pour satisfaire son insatiable femme. Le ton s’inscrit en rupture par rapport au récit principal. Le style est cru et porté sur le sexe. Certains passages peuvent déranger mais ceci dit, cela permet de ne jamais s’ennuyer.Tous ces enchevêtrements brouillent des pistes dont on ne sait même pas si l’on doit retrouver la trace.
Ce qui fait la grande force et l’intérêt de ce roman c’est le jeu constant, le dialogue qui s’établit entre le lecteur et son auteur. On prend plaisir à se tordre l’esprit pour tout relier et voir petit à petit tout prendre sens. Jean -Marie Blas De Roblés nous met sur de fausses pistes, nous tend des pièges et c’est avec satisfaction que nous tombons dans le panneau. Dès le début, l’auteur se joue de nos attentes. Alors que nous pensons commencer un récit historique fouillé et précis s’ouvrant sur une bataille épique, le combat est interrompu par une domestique qui apporte du thé à un homme qui était en train de rejouer cette bataille dans son salon. Le lecteur est dès lors en permanence actif. Il cherche des correspondances dans les titres de chapitres énigmatiques qui se retrouvent forcement à l’intérieur de ceux-ci. Comment l’auteur va-t-il en venir à évoquer par exemple « une mouche à rallonge » ? Ce maniement habile de la narration est une première forme de déclaration d’amour à la littérature.


Ce plaisir des grands auteurs et des beaux textes se retrouve dans les nombreuses références données soit explicitement, soit dissimulées tout au long du roman. Le point Némo est un bel hommage à Jules Verne et il est émouvant de voir ces ouvriers encore captivés par la lecture de Victor Hugo ou Alexandre Dumas. Je ne peux pas m’attarder sur toutes les références, surtout que leur découverte fait partie du plaisir de la lecture. L’auteur amorce également une réflexion sur la place des classiques dans notre société actuelle et plus généralement sur l’espace que nous laissons dans notre société à notre histoire et notre passé. Je pense notamment à la bioserre que les personnages découvrent au point Némo.



« La vérité, songea Wang, lorsqu'il fut enfin seul, c'est que c'était
du pipeau ; la guerre ne répugnait à aucune ruse. En clair, si les
textes inclus dans la liseuse étaient tous du domaine public, il ne
fallait pas compter y trouver La Comédie humaine ou Les
Rougons-Macquart en collection complète, annotée, illustrée et
agréable à lire. Les éditeurs historiques de Balzac et de Zola en
auraient attrapé des boutons de fièvre. Ces versions-là, il faudrait
encore les racheter pour quelques euros sur les plates-formes dédiées.
Pas question de les mettre directement sur le B@bil Book. Parmi les
deux cents livres proposés, il n'y avait que des œuvres ultraconnues,
choisies pour la façon dont elles entraient en résonance avec le
cinéma. Hugo ? Les Misérables ; Zola ? Germinal ; Balzac ? Le Colonel
Chabert ; La Recherche ? le premier tome, pas les autres, et ainsi de
suite. S'ils ne les avaient pas lus plusieurs fois, les gens pouvaient
se rattraper avec les aventures complètes de Sherlock Holmes, les
Fables de La Fontaine ou Vingt Mille Lieues sous les mers. Cela lui
rappelait la Chine sous Mao, quand tout le corpus littéraire et
philosophique se limitait peu ou prou à la production du XIXe siècle.
»



A cette réflexion sur la littérature, se lie le plaisir obscène des faits divers. L’auteur aime l’étrange, l’incongru et le bizarre. La curiosité malsaine du lecteur est amplement satisfaite de ce point de vue. Certains chapitres ne sont d’ailleurs composés que d’une suite de petits faits divers sordides brillamment énoncés avec force figures de style et bons mots.


Une lecture donc foisonnante, exigeante et originale. Je suis simplement déçue et un peu frustrée de ne pas avoir réussi à vraiment me mettre dedans. Il faut admettre que ma lecture n’a pas était très suivie ce qui n’a peut-être pas aidé, mais j’ai eu du mal à m’intéresser à la trame principale et ce notamment à cause du morcellement dû à la construction de la narration. Ce procédé a donc ses avantages et ses inconvénients. D’autre part, j’ai trouvé certaines descriptions trop longues et lourdes. Elles font certes honneur à l’imagination débordante de l’auteur mais elles finissent par trop rogner sur la narration. Cependant, je vous conseille tout de même cette Odyssée hors du commun qui vous fera enrager et vous émerveillera en même temps.


A lire sur le mouton curieux

titaboris
6
Écrit par

Créée

le 1 août 2018

Critique lue 149 fois

titaboris

Écrit par

Critique lue 149 fois

D'autres avis sur L'Île du Point Nemo

L'Île du Point Nemo
Kalimera
8

Synonymes pour un roman étonnant

Difficile de critiquer ce roman singulier, déjanté, picaresque, échevelé, effervescent, chevaleresque, magique, imprévu, admirable, ahurissant, bizarre, confondant, déroutant, difficile, drôle,...

le 4 janv. 2015

8 j'aime

8

L'Île du Point Nemo
alfredboudry
5

C'est pas mal, ouais, mais c'est quoi, cet arrière-goût ?

Soyons clair: j'aime bien cet auteur ; "Là où les tigres sont chez eux" m'avait enchanté. Son succès a prouvé que les Français sont capables de lire autre chose que des élucubrations nombrilistes,...

le 28 oct. 2014

2 j'aime

L'Île du Point Nemo
Lelivredapres
8

Du romanesque, du picaresque enfin !

Curieuse coïncidence. Le plus gros diamant du monde, l’Anankè, vient d’être volé à sa propriétaire, Lady Mac Rae, qui vit en Ecosse. Au même moment, non loin de son château, sont retrouvés trois...

le 22 oct. 2014

2 j'aime

Du même critique

Bye Bye Blondie
titaboris
6

La rage au ventre

Virginie Despente faisait partie des auteurs que je n’avais pas encore eu l’occasion de lire. J’ai commencé avec Bye Bye Blondie parce qu’il se trouvait dans la bibliothèque familiale. L’expérience...

le 25 févr. 2018

2 j'aime

Crime et Châtiment
titaboris
7

Plaisirs de la relecture

Difficile de se sentir légitime pour critiquer un tel pilier, un si grand classique de la littérature européenne. C’est pourquoi je vais simplement vous faire part de mes impressions personnelles à...

le 18 févr. 2018

2 j'aime

1

La Vie et Moi - Pico Bogue, tome 1
titaboris
8

Le plaisir du bon mot

La vie et moi raconte le quotidien de la famille de Pico et sa jeune sœur Ana Ana. Une famille classique en apparence mais incroyablement attachante. Le crayonné foisonnant nous accroche tout de...

le 6 oct. 2017

2 j'aime