J'adore Buzzati. J'adore son talent de conteur, c'est pour moi un novelliste hors-pair que je place au même plan que Borges ou Carver. C'est également l'un des rares auteurs dont j'ai lu presque toute la biographie.
Un jour, de passage chez mes parents, je compulse la vieille bibliothèque familiale, et j'en tire cette oeuvre de Buzzati, totalement inconnue au bataillon. Une petite pépite en fait, qui m'a laissé un très agréable souvenir.
En fait, c'est probablement l'un des tout premiers récits sur l'intelligence artificielle, à une époque où le terme n'avait pas encore été inventé. Un court roman qui se lit très vite, d'une traite, et qui s'articule autour du dilemme de la définition de l'humanité sans enveloppe corporelle. Sur ce coup là, mine de rien, le père Buzzati, il a trente ans d'avance sur le mouvement cyberpunk. C'est aussi (et avant tout ?) un magnifique roman d'amour, dans mon souvenir.
Car voilà. Maintenant que je vous ai donné l'eau à la bouche, vous pouvez pleurer. Comme moi. Si j'ai pleuré et que je pleure encore c'est parce que ce bouquin, je l'ai prêté et je l'ai plus jamais revu. Ce qui d'habitude ne me gêne guère, au contraire (pour moi c'est la destinée d'un livre), m'a en l'espèce terriblement gêné : il est impossible, ou presque, de remettre la main sur cette oeuvre.
C'est là que je me suis rendu compte, avec horreur, d'une réalité que je ne connaissais pas : il existe des livres qu'il est impossible de lire ou de relire, parce qu'ils n'existent tout simplement plus sur le marché. Et le pire, c'est que cela arrive à des petits chefs d'oeuvre comme celui-ci.
En attendant une hypothétique réédition (numérique ?), c'est probablement ce qui - pour moi - a définitivement attribué à ce livre son statut mythique.