L'inconnu de la poste, Florence Aubenas, Editions de l'Olivier


Une postière de Montreal-la-Cluse, gros bourg en face de Nantua, dans l'Ain, se fait assassiner de vingt-huit de coups de couteau dans son bureau, au petit matin, quelques jours avant la Noël 2008. C'est la fille de l'ancien maire. Il y a en face de la poste une bâtisse ancienne qu'on appelle «  la maison des catastrophes » ou «  la grotte » parce que des cas sociaux y habitent et que l'on y vit quelquefois volets fermés. Parmi les résidents de « la grotte », un marginal qui est venu s'installer ici, pour traîner avec des potes, acteur de cinéma à la filmographie abondante mais en pointillé, enfant de la Dass, drogué, poli, beau parleur dans ses bons jours, que l'on prend un peu pour mytho tout en lui faisant signer des autographes.


Cet homme, qui clame son innocence face aux préjugés, sera le suspect de cette enquête, et le César qui l'avait récompensé en 1991 comme jeune espoir du cinéma français pour son rôle dans «  Le petit criminel » de Jacques Doillon jouera comme élément à charge. Mis en examen, il restera détenu trois ans avant d'être placé sous contrôle judiciaire. Sept ans plus tard, on identifie une trace ADN retrouvée sur les lieux du crime. A la veille d'une ultime confrontation avec le nouveau suspect, qui doit établir son innocence, Gérald Thomassin, le comédien, disparaît sans explication.


« L'inconnu de la poste » est l'histoire de ce fait divers. Mais qui déborde largement le crime, pas encore jugé, et les vicissitudes de l'enquête. Pour nous plonger dans celle de cette vallée du Haut-Bugey et de ses habitants. Deux petites villes de 3 000 habitants de part et d'autre du lac de Nantua «  à la beauté délaissée », un crime qui est ici, où tout le monde se connaît, «  un nouveau 11 septembre ».


Car, au fond, l'immense et si rare talent de Florence Aubenas, qui sait que l'instruction judiciaire « éventre les secrets » et « ressemble à une dévastation », c'est de ne pas rajouter à l'impudeur des choses ni à la peine des hommes. C'est le génie de ce récit de non fiction : l'auteure, qui a enquêté durant six ans, préfère se faire oublier comme narrateur, nous laissant face à face avec une galerie de portraits, sensibles, denses, d'une épaisseur humaine peu commune.


« L'inconnu de la poste » c'est l'inverse de « Faites entrer l'accusé » !


On ne nous parle pas d'un crime, on nous parle des gens, de la coiffeuse, de la pharmacienne, du secrétaire de mairie, des ouvriers qui travaillent dans la vallée qui est devenue celle du plastique - il y a du travail, les gens y viennent de loin pour en trouver-, des quelques éleveurs qui résistent («  En quinze ans à peine, un monde avait avalé l'autre, l'usine contre la terre »), des bandes de filles qui s'amusent un peu sans les hommes, d'un trio de marginaux (Thomassin, Tintin, Rambouille), des enfants de la Dass, des familles d'accueil, du père de la victime qui cherche un coupable et qui s'effondre en apprenant que celui qu'il tient pour tel depuis des années pourrait être remplacé par un autre, des jeunes toxicos «  à l'allure de clochards mal nourris », de «  ceux qui demandent une cigarette, davantage pour parler que pour fumer », de la rue, de la manche, des vies qui font les rencontres, des tentatives de suicides ou des cures de sevrage.


Il y a, dans ce récit, une empathie qui donne à tout ce que Florence Aubenas touche (les gens, les paysages, les situations) un effet de vérité humaine bouleversant.


On songe quelquefois au Laurent Mauvignier d' « Histoires de la nuit » ou à « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu. Mais la prouesse et la grâce de Florence Aubenas, c'est de répandre sur ces vies cabossées ou minuscules une lumière d'une douceur bienveillante, caressante, pleine de pitié (au sens le plus profond du mot que l'on a désormais oublié). Comme s'il s'y reflétait la flamme fragile de ces âmes blessées.


Immense livre.

JoëlBoyer
9
Écrit par

Créée

le 15 févr. 2021

Critique lue 3.5K fois

18 j'aime

3 commentaires

Joël Boyer

Écrit par

Critique lue 3.5K fois

18
3

D'autres avis sur L'Inconnu de la poste

L'Inconnu de la poste
Cannetille
8

Une enquête troublante qui se lit comme un roman

En 2008, la postière d’un village de l’Ain est retrouvée assassinée de vingt-huit coups de couteau sur son lieu de travail. L’enquête piétine et finit par déboucher en 2013 sur la mise en examen de...

le 1 mai 2021

6 j'aime

L'Inconnu de la poste
Freddy-Klein
9

Critique de L'Inconnu de la poste par Freddy Klein

Dans son dernier livre, Florence Aubenas part d'un fait divers dans lequel de près et de loin sont témoins quelques jeunes gens qui vivent en marge dans un village du Haut-Bugey. L'un d'entre eux,...

le 7 sept. 2022

6 j'aime

1

L'Inconnu de la poste
feursy
9

Cold case

Les lieux : Un village de montagne, une vallée où la désertification fait des ravages, la maternité, la mutuelle sociale agricole tout a été délocalisé. Les trains passent, mais ne s'arrêtent plus...

le 27 févr. 2021

5 j'aime

1

Du même critique

Changer : méthode
JoëlBoyer
3

Pour en finir avec Edouard Louis

Edouard Louis, Changer : méthode, Le Seuil Désormais Edouard Louis ressasse et cela nous lasse. « En finir avec Eddy Bellegueule », puissant récit autobiographique de la suffocation...

le 2 oct. 2021

15 j'aime

3

Les Choses humaines
JoëlBoyer
8

Vanité des certitudes

On fait polémique de tout en France. Même d'un livre intelligent, très brillamment construit, à l'écriture simple et tenue qui nous parle de nous. Enfin, nous.... Les Farel, le couple du livre, ne...

le 20 oct. 2020

9 j'aime

Lilas rouge
JoëlBoyer
10

Lignée et héritages en monde rural

Lilas rouge, Reinhard Kaiser-Mühlecker, Verdier, trad. Olivier Le Lay Dans les années 40, un père et sa fille arrivent en carriole dans un village de la Haute-Autriche, fuyant on ne sait quoi -on le...

le 27 mai 2021

7 j'aime