Le narrateur, Grégoire Bouillier, devient un jour l’invité mystère que la plasticienne Sophie Calle demande à un de ses amis de convier à son anniversaire. (Je ne reviens pas ici sur ce qu’une telle démarche me semble impliquer en termes de snobisme et de mépris de classe, sans parler du parisianisme général de l’intrigue – ce n’est peut-être pas l’endroit.) Il ne la reverra plus avant longtemps, mais l’invitation sert de motif à toutes sortes de digressions, notamment à propos des relations du narrateur et de son ex-compagne.

L’écriture de L’Invité mystère – hyperbates, incises, phrases longues, coqs-à-l’âne – peut désemparer. Un exemple ? « Je songeais alors que certaines comètes reviennent cycliquement dans les parages de la Terre après s’être aventurées jusqu’aux confins de l’univers et j’en avais alors la certitude : notre amour revenait de même orbiter autour de nos deux existences après toutes ces années où il s’était trouvé rejeté dans un passé lointain et glacé et sans doute passerait-il au plus près de nous lors de cette soirée dont la date était prévue pour le samedi 13 octobre 1990 et la perfection de cette suite de multiples de trois m’apparut soudain un signe propice, quoique nettement plus aléatoire, et je n’invente rien car j’ai beaucoup trop d’imagination pour cela » (p. 27). Cela dit, ce style un peu fourre-tout, évidemment maîtrisé, ne rend pas forcément le livre très intéressant pour autant.


Une fois compris que le propos repose sur une correspondance entre intime et universel – voire cosmique –, entre récit individuel et histoire collective finalement assez convenue, une fois quelques signes repérés – et le lecteur idéal de L’Invité mystère est sans doute plus cultivé que moi –, une fois saisi que les mondanités associées à l’art contemporain ne sont pas qu’un thème du récit, mais aussi son matériau, on aura dissipé une bonne part du mystère.

On aura aussi contribué à expliquer le récit en le qualifiant d’une part de cérébral, d’autre part d’artificiel. Cérébral, car même les éléments concrets – une bouteille de vin, la sonde spatiale Ulysse – y sont envisagés en tant que confirmations de coïncidences, en tant que symboles, presque comme des membres d’équations. Quant à l’artifice, il ne me gêne pas en littérature – je ne sais même pas ce que serait une littérature qui ne fût pas artificielle –, mais ici cela sent quand même parfois le forcé, comme quand le goût de Grégoire Bouillier pour le paradoxe finit par flinguer l’écriture – « le contraire du manque de courage n’est pas la lâcheté mais le découragement, du moins en langue française » (p. 31).

Autour de 1900, on appelait ce genre de livres romans d’analyse, ou romans psychologiques, et ils comptaient dans les quatre cents pages.

Alcofribas
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le 25 juil. 2025

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