Pamphlet vitriolique sur les "haillons hideux de l'histoire"

J’ai pris le temps avant de rédiger cette critique car ce livre m’a laissé un goût plutôt amer. Certes, il parle de la 2ème guerre mondiale, sujet sensible mais nécessaire, qui rend toute tentative de critique pour le moins délicate. Mais dans l’ensemble, j’ai été gêné par le style de l’auteur. Sur le fond, c’est un champ lexical axé autour du mépris, de la honte et du jugement. J’ai eu la sensation que l’auteur se posait en redresseur de tort, avec un récit à charge. Il est pourtant néanmoins tellement facile de réécrire l’histoire et d’insulter ceux qui auraient pu, peut être mais on ne le saura jamais, empêcher ce désastre, ou peut être seulement le ralentir.
J’ai appris que parce que c’était un Récit, l’excellent « Le Royaume » d’Emmanuel Carrère n’avait pas pu prétendre au Goncourt. Mais cela n’a pas empêché Vuillard de le remporter pour son récit sur quelques passages de la 2ème Guerre. Et ça me gêne, beaucoup.
Pour paraphraser l’article du Monde : En 160 (petites) pages, ce livre montre comment « les plus grandes catastrophes s’annoncent souvent à petit pas » et « soulève les haillons hideux de l’histoire » pour raconter la marche vers l’abîme de l’Europe à travers deux moments.
Il parle des grands industriels qui ont soutenu le régime nazi dès ses premières heures. Puis il parle du chancelier autrichien qui ne s’est pas opposé à l’Anschluss. Il parle de la machine de guerre qui s’est lamentablement arrêté et qui n’était pas si puissante ce que la pathéthique propagande nazie a sû faire gober à tout le monde. Mais qui est-on pour juger après tout ce temps ? Eric Vuillard nous donne l’impression qu’il aurait indubitablement fait mieux, tellement mieux que ces incapables à qui il faut, 80 ans plus tard, lancer la pierre, mais avec le brio littéraire qui permet de remporter le prestigieux Goncourt.
Et ce brio, je voudrais aussi le challenger. Car oui, les mots sont ceux d’un érudit et presque personne je pense ne pourra se targuer de livre cet ouvrage sans recourir au moins une fois à un dictionnaire. La belle affaire. Et on retombe dans les travers du Goncourt, qui trop souvent récompense un usage exceptionnel de la langue, au détriment de la qualité de l’ouvrage. Au milieu de cette kyrielle de mots venus d’ailleurs, l’auteur agresse doucement mais sûrement son lecteur, avec des phrases télégraphiques et des chapitres à charge. A Alice Zenyta, le Nouvel Obs reproche d’y aller un peu trop doucement avec cet énorme tabou qu’est la Guerre d’Algérie, d’écrire à mots couverts, et elle passera à côté du Goncourt et du Renaudot pour ce livre, je cite, jugé comme « un nécessaire travail de mémoire à défaut d'être une totale réussite littéraire ». A Vuillard, on donne la récompense ultime pour son J’accuse rétrospectif. Un peu trop facile à mon goût.

Aptiguy
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le 30 janv. 2018

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