Un livre sur un sujet très intéressant, mais qui s'égare à mon avis sur la forme et sur le choix du public visé.
Le postulat de base : (1) Merrit Ruhlen, linguiste établi, pense que toutes les langues ont une origine commune et que leurs liens de parentés peuvent être retracés jusqu'à une lointaine langue ancestrale unique, qui aurait été parlée il y a 50 000 ans environ ; (2) cet avis n'est que très peu partagé par ses collègues qui attaquent apparemment violamment tout travail qui va dans ce sens, avec une envie de polémique qui semble aller au-delà de ce que la rigueur scientifique demande.
Du coup, Merrit Ruhlen écrit un livre pour convaincre le grand public que sa thèse est raisonnable. Le problème : le livre est à mon avis un hybride pas très réussi entre un livre vraiment grand public et un manuel de linguistique pour étudiants avertis.
À certains moments on est noyés : s'il peut être amusant de comparer les racines de mêmes mots dans différentes langues, afin de se convaincre soi-même qu'elles sont apparentées, il semble qu'on aurait au minimum besoin d'une clé pour déchiffrer l'alphabet phonétique utilisé dans le livre pour que ce soit ludique... Les pages et les pages qui suivent ces tableaux de comparaison, qui décrivent en détail les variantes d'un mot entre différentes familles de langues, m'ont parues particulièrement indigestes (je n'ai d'ailleurs fait que les survoler).
À d'autres moments au contraire, on survole de trop haut le sujet et les arguments semblent manquer. En particulier, j'ai trouvé que la corrélation entre la génétique des populations et les langues qu'elles parlent était loin d'être évidente quand on considère les arguments donnés dans le livre. De même, chercher l'origine des langues indo-européennes en étudiant leur diffusion historique uniquement dans le moyen-orient et l'Europe, sans regarder l'Asie du Sud, semble un peu léger...
J'ai aussi trouvé que l'auteur n'était pas à l'aise avec la structure de son livre, ce qui se traduit par des références excessivement nombreuses à la suite du texte ("ainsi qu'on va le voir dans le chapitre X", "nous verrons ce point par la suite", etc.) qui finissent vite par être indigestes.

Au final il s'agit d'un texte intéressant, qui donne envie d'en savoir plus, mais qui aurait gagné à être remanié pour pouvoir vraiment atteindre son public.

Enfin, je reste à titre personnel frustrée par une apparente ambiguïté, dont la résolution dépasse le cadre de ce livre et qui ne me semble peut-être ambigüe qu'à cause de mon manque de connaissances : l'auteur étudie tout au long du livre l'évolution des langues en partant du postulat, apparemment universellement admis par ses collègues, que les sons ne peuvent que se simplifier : un K dans une langue mère deviendra un G dans une langue fille, un P deviendra un B, etc. Cependant il parle dans l'appendice de mots qui sont présents sous des formes plus ou moins proches dans presque toutes les familles de langues, et qui servent à désigner les parents, les oncles et ou les grands-parents. Ces mots feraient partie d'après lui des tous premiers mots du langage qui a donné naissance à toutes les autres langues parlées depuis. Un indice de plus que ces mots ont une origine extrêmement ancienne serait qu'il s'agit de mots simples ("ils consistent en consonnes et voyelles simples"). Cela veut dire que suite à l'invention de consonnes simples, il y a eu une invention de consonnes plus compliquéees. Comment alors expliquer que le langage ne fasse que se simplifier ?
chlorine
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le 1 sept. 2013

Modifiée

le 8 sept. 2013

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