La Bible
6.7
La Bible

livre ()

Bon, ce n'est pas l'approche la plus conventionnelle pour écrire une critique littéraire, mais pourquoi pas ?
J'ai eu envie d'écrire un paragraphe, une approche "littéraire" sur la Bible. L'intertextualité est loin d'être toujours évidente, même à mes yeux, mais souvent des bribes de poèmes ou de nouvelles s'imposent à moi au lieu de critiques construites qui formaliseraient l'oeuvre, la décortiqueraient selon un modèle d'analyse subtil et méthodique à la fois. Cela, d'autres l'ont fait avant moi bien mieux que je ne pourrais prétendre le faire.

J’ai refermé le livre.

Il y eut un soir, il y eut un matin ; depuis, j’ai vu tant de nuits et de jours se coucher sur la terre, tant de naissances et de morts, que je me suis évaporée derrière les mots.
Au matin du septième jour, à force d’écrire et de m’enfuir trop vite, j’ai perdu l’empreinte des premiers mots. Je ne savais plus vraiment ; des lettres perdues m’ont enveloppées, m’ont éloignée de ma réalité. Je me retourne vers les rues, où demeurent encore quelques uns de mes rires émiettés, et je les recueille, un à un. Et j’ai trop cherché.
Je n’ai cessé d’éprouver, de sentir intensément, comme un écho répercuté, toutes les joies et les larmes de la vie. La morsure se faisait si profonde en mon âme que j’ai cru être la seule à devoir vivre autant, ballottée incessamment depuis le ciel jusqu’à la terre noire et sèche. Mais le monde entier vit à l’extase, la coupe tenue au bord des lèvres, prêt à s’enivrer ou à s’empoisonner d’une même gorgée.
J’ai voulu créer mon personnage à mon image, et c’est moi qui me suis forgée sur la sienne. Pourtant, il y a encore des choses que je sais. Je sais que je n’ai pas d’âge. Pas de visage. Pas de nom. Je suis une pensée, je me greffe sur le papier ; pour un instant, je suis l’écriture, fugace et désincarnée. Mes personnages dansent, tombent, dansent encore sur la fournaise du monde. Ces oiseaux de papier voient leur fin comme ils sont nés ; dans une déchirure d’encre.
Quand tout sera consumé, je redessinerai d’autres oiseaux. Car tout être est un phénix de lumière et de sang, qui retrouve dans sa nature les parcelles d’autres chairs éteintes. Je bois chaque fois au fleuve de l’oubli, mais toujours je reviens à moi-même. Avec la conviction que la sensation seule me maintient en vie.

Premier jour

C’est éternellement la même sensation.
Dans mon rêve, je suis sur une scène sombre. Les ténèbres sont telles que leur opacité enveloppe chaque mouvement ; c’est une caresse au goût de néant, presque mortelle, à laquelle j’échappe incessamment. Seuls mes pieds nus perçoivent l’ébène tiédie du sol, et, par une série de corps à corps avec la matière, j’appelle et repousse ce contact. Une étoffe sur mes épaules et mes hanches, transparente, reluit faiblement à la clarté des projecteurs. Ses pans laiteux m’effleurent, sans se fondre un instant aux courbes de ma chair : le tissu est trop léger, le toucher trop fragile, et la soie n’appartient ni à mes bras ni au chaos qui l’environne. Elle embrase l’un et l’autre, alternativement, d’une fureur muette qui abreuve et révèle la crainte. La crainte de s’arrêter, de savoir qu’il y a peut-être une fin.
Les gestes se poursuivent au fil des expirations ; danse avec la vie. Jusque autour de l’éclat blême d’une mèche ; danse avec la vie.
Les rubans dénoués claquent souplement, esquissent des cercles voluptueux qui étreignent l’ombre. Tout cela se mêle. Vient l’instant où la peur s’évapore, se distille lentement sous les corolles de perles qui scintillent au creux de ma nuque. Sous l’effet d’une langueur expressive, je joins mes mains devant moi, et les ramène en de larges brassées derrière mon dos, jusqu’à sentir un infime craquèlement des omoplates, inaudible tant la musique intérieure se fait prégnante.
J’appelle. Je parcours l’espace irréel, le monde absent de la quête, et mes traînes me suivent en roulant sur le parquet, comme un flot satiné glissant son murmure tout au long des récifs. Mes paupières, à demi brûlées par les faisceaux ardents, clignent vaguement, et tentent de recréer la forme unique au bout de la scène. Mais l’idéal n’est pas visible. Drapé dans un invisible lainage nocturne, il Est seulement.


A ce moment précis naît la sensation. L’instinct prend en premier possession du corps ; il y a quelque chose, une sorte de grondement sous la peau, qui soulève les veines en de fines bleuissures.


Le sang s’agite et semble flamboyer ; l’impulsion est irrésistible dès l’instant où l’on n’envisage même pas que l’on puisse y résister. Le besoin de l’Autre. Chaque fibre de mon être crie et se donne à l’infini des pensées, j’aspire à son souffle, à sentir et à être son souffle. En quelques foulées, je parviens à l’orée de ses bras. Il me regarde, mais à quoi ressemblaient ses yeux ? Il se mêle à mes gestes, ou bien est-ce moi qui me mêle aux siens ; je ne sais pas. Mes entrailles deviennent le calice de son âme, pourtant il ne me touche pas, n’agrippe pas mes mains qui oscillent librement, il m’assimile seulement à son existence à travers les brumes de l’essoufflement. Pour toutes les chansons de mes membres il est le violon, l’odeur douce de l’absolu sans commencement, sans évanouissement. Dans la continuité de l’émotion, grandissant jusqu’à s’étourdir elle-même, l’être qui complète ma chair me saisit à la taille et m’élève. Que puis-je sentir alors ? Ses mains s’écroulent le long de mon dos sans que je ne les sente, je ne vois que l’infini au-delà de moi. Je ne sais plus ce que je suis ou ce qu’il est. Les larges voiles blancs tournent encore contre son torse, balayent parfois les mouvements de ses jambes. J’aperçois seulement, au dessous de moi, les ondulations d’une chevelure brune, puis je relève le visage.
Je vois la Lumière. A portée de bras peut-être, ce cercle répand une faible nuée de halos qui se posent sur moi, ainsi que de pâles chrysalides dont l’éclosion libère une chaleur paisible. Mes doigts se courbent dans la quête de cette clarté qui sans cesse vacille, je tente de la toucher, et tout mon corps dessine des arcs dans les bras de mon ange. Je me cambre, il suit mon inclinaison, et je suis à lui, car il m’aide à approcher la lumière éternelle. Toujours trop élevée à travers les couvertures de rideaux qui s’abreuvent de son éclat tendre, elle immisce en moi des songes elliptiques, sans pour autant m’appartenir. Je ne lui dérobe qu’un peu de ses auréoles, peignant les traits confus de l’accomplissement. Mais elle n’est pas à moi. Elle est à l’univers. La force Créatrice, est semblable au murmure de l’eau, à l’écho de la terre, aux célestes élégies des rossignols de nuit, porteuse de la prière de l’Homme. Elle est semblable à tout mais rien n’égale l’abstraction de sa forme, l’instabilité de son existence, l’absolu de son amour.
Il me porte à nouveau contre lui. Je reprends contact avec la terre ferme, les bras encore entrelacés autour de ses épaules, d’abord sur la pointe des pieds, délicatement, presque avec crainte, puis de tout le poids de mon corps. Un sourire se fige à la commissure de mes lèvres, et je me courbe en une révérence distraite, éblouie, presque inconsciente, noyée par l’étincèlement crû des réflecteurs. Des applaudissements confus et quasiment évaporés résonnent faiblement à mes oreilles.
Le rêve prend alors fin.
Ahava
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le 12 avr. 2013

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Ahava

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