Ce roman est une vraie étrangeté.
Laissez-moi vous raconter rapidement.
Un certain Adam Black a un jour recueilli, dans des circonstances qui seront expliquées en fin de roman, douze enfants pour leur apprendre ses connaissances, qui sont incroyablement étendues et étranges. Chacun de ses enfants a un domaine précis de compétences dont il ne doit pas sortir. Un jour, Carolyn, l'une de ces enfants, décide de prendre le relais. Cette prise de relais impliquera quelques personnages dont on pense initialement qu'ils n'ont rien à voir dans l'affaire, ce qui peut être faux.
La première chose à noter sur ce roman, c'est qu'il faut l'entamer avec l'oeil d'un lecteur de SF plutôt qu'avec celui du lecteur de fantasy. Je m'explique ... d'habitude, dans la fantasy, le contexte est clairement posé assez rapidement. Par exemple, l'empire des bleus s'oppose à la république des rouges pour conquérir le territoire perdu des jaunes, occupé par un dieu déchu. Ici, au contraire, on découvre le contexte à travers les yeux des acteurs du roman. Il faut ainsi une centaine de pages avant que l'auteur daigne signaler que cette bibliothèque se trouve au coeur des états-unis ... contemporains, ou presque (puisque les "américains" ont des téléphones portables). Et cette contextualisation au fur et à mesure m'a paru typique de certains styles de SF. Ca m'a évidement plu, mais certains lecteurs semblent avoir besoin de s'y préparer.
Il y a ensuite un choix assumé de la cruauté. Carolyn n'hésite pas à tuer des gens, ce qui est vraiment déstabilisant au début du récit, parce que ça m'a vraiment rendu les différents personnages des bibliothécaires assez antipathiques. Pour ceux qui savent, j'ai assimilé ce récit à certaines parties de Dick Gentry, détective holistique, série télé plutôt brutale. Vraiment, c'était difficile, jusqu'à ce que je comprenne la raison derrière ce manque de compassion. Je ne vais pas m'étendre sur ces raisons, mais c'est un sacré changement de perspective.
Ces éléments sont en fait des éléments de contexte, qui situent les personnages des bibliothécaires, lequel prend environ 300 pages ... 300 pages de contexte, c'est long, non ? Parce qu'il ne reste plus que 200 pages pour construire et résoudre une intrigue qui ait du sens. Et c'est là qu'arrive le vrai vertige de ce roman, parce qu'il y en a un. Au lieu de simplement construire une histoire classique de vengeance familiale, l'auteur passe d'un coup dans la dimension des romans métaphysiques : quel est le sens de la réalité, comment a-t-elle été construite ? C'est vraiment intéressant, à quelques défauts près.
D'abord, autant la quatrième de couverture que les remerciements de l'auteur semblent mentionner une forme d'humour. Personnellement, j'ai bien vu le côté terrifiant de cette histoire. J'en ai vu aussi le côté captivant (à la façon d'un Dr Strange, par le vertige dimensionnel). Mais l'humour ? J'ai l'impression qu'il s'agit d'une blague pour spécialiste de la Torah ... que je ne suis pas. Et franchement, quand on enlève l'humour à un roman terrifiant et hilarant, ça devient d'un coup une lecture horrifique, ce que j'apprécie beaucoup moins, parce que c'est une émotion plus primaire, moins fine en un sens et que je n'aime pas ressentir.
A ce déséquilibre, il faut ajouter un point de détail. Il y a dans ce roman un agent des services spéciaux US, qui ne fait pas grand chose (même si il n'est pas inutile), mais interprète à merveille le cliché du dur à cuire à l'américaine. Et c'est détestable dans une oeuvre qui aurait acquis bien plus d'universalité sans ça.
Mais ça n'est pas tout ! Les cinquante dernières pages, qui devraient ramener de l’humanité au récit, et dans lesquelles je pensais vraiment que l'auteur ramènerait Carolyn parmi les gens normaux, a au contraire éloigné celle-ci de la Terre, ce qui est en un sens compréhensible, et l'a conduit à des actions que j'aurais vu comme un sacrifice, mais que l'auteur a choisi de montrer comme logique. Autrement dit, Carolyn qui est présenté comme gagnante, a en fait perdu. Ça n'est pas clair, et ce manque de clarté de la conclusion amplifie le côté confus du roman. C'était donc intéressant, sans pour autant être particulièrement émouvant. Dommage pour un roman d'apprentissage.

Riduidel
4
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le 12 mars 2020

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