Une fois cette Boîte en os refermée, il m’a fallu un peu de temps avant comprendre pourquoi je n’avais pas été aussi emballé que je l’espérais : en tant que texte, le roman est finalement assez moyen. Il ne prend une partie de son charme, ne gagne de l’intérêt que lorsqu’on sait qu’il a été écrit par une Française du XXe siècle qui fréquenta très jeune le milieu artiste, vécut quatre-vingts ans mais ne publia presque rien d’autre. Et l’une des qualités du roman est précisément qu’il adopte des points de vue très masculins – les deux principaux narrateurs – de façon remarquablement crédible. (C’est peut-être le prix à payer pour contrebalancer une complexité narrative qui n’était peut-être pas indispensable – le narrateur principal, Norbert, recueille notamment le long récit de John puis celui, un peu plus bref, de Margaret.)
Au centre de la Boîte en os, un amour fou. Plus exactement, un amour qui rend fou. Pour résumer : John Mac Corjeag, nobliau écossais, « n’[a] jamais rien trouvé naturel » (p. 33). Il se sent seul dès son enfance – père pasteur, mère neurasthénique – et ne trouve un peu de réconfort qu’avec la voisine Margaret, deux ans de plus qu’elle. Lorsqu’ils se revoient, à l’adolescence, c’est le coup de foudre. Classiquement, le bonheur dure peu. Pas grand-chose d’étonnant, à partir du moment où Mac Corjeag pouvait déclarer : « Enfant, j’étais particulièrement troublé par les yeux des autres enfants et je ne sais comment j’ai pu résister à l’envie de crever les prunelles de ceux que j’aimais. Ces petits ronds contenant l’infini m’attiraient et me repoussaient à la fois. C’est que les yeux des enfants sont faits d’eau et de ciel, et l’eau et le ciel donnent le vertige » (p. 35).
Assez curieusement, à mesure que John grandit, le style se délite : chaque phrase des cinquante premières pages faisait naître une petite musique, qui se raréfie par la suite et disparaît presque tout à fait à la fin. Parallèlement, la figure de Mac Corjeag perd l’originalité qui faisait une partie de son charme : il finit par ne plus y avoir qu’une différence de degré, non de nature, entre lui et d’autres jeunes héros romanesques géniaux mais dépressifs – mettons un Werther : « Souvent il m’avait semblé, aux heures où je penchais la tête, tu sais, ces heures où l’on ignore si l’on souffre ou si l’on vient de souffrir, sentir peser contre mon front le poids d’un autre front dont les pensées, qui n’étaient pas les miennes, se mêlaient subitement aux miennes et faisaient que mon cerveau était dans un état de désordre fou » (p. 77).
Certes, on trouve çà et là des passages intéressants, digressions psychologiques ou traits à la portée plus générale que l’Écosse des années 1900 (?) qui sert de cadre au récit. Mais tout n’a pas la force d’une phrase comme : « Mon trouble avait comme la saveur d’un souvenir d’amant » (p. 44). Et de stagnations narratives en imprécations contre Dieu, on finit par avoir hâte que le dénouement arrive.
Il arrivera, à la fois dénué de surprise et décevant par le côté grand-guignol d’une fin mi-fantastique à laquelle rien ou presque ne préparait.

Alcofribas
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le 22 déc. 2018

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