Frappes Chirurgicales

La première qualité de cet ouvrage réside notamment dans le fait qu'Howard Zinn refuse de considérer l'horreur "comme l’œuvre inévitable de gens horribles". Il préfère pour plutôt se demander quel "état d'esprit" et "quelles contorsions morales" peuvent nous pousser à accepter des horreurs (la mort de civils par centaine de milliers) peu importe notre société, ou notre "degré d'honnêteté".

Évidemment quand on pense à cela, à la servitude volontaire de l'humain face à l'horreur qu'on lui commande et qu'Howard Zinn peut décrire, on pense immédiatement à des faits comme l'Holocauste Nazi, aux Goulags Stalinien ou plus actuellement au Jihad guerrier de certains fous d'Allah. Cependant Howard Zinn cherche dans cet essai à rappeler qu'aucun camp n'est essentiellement droit et ainsi à démontrer que les bombardements atomiques aux conséquences dramatiques d'Hiroshima et de Nagasaki auraient pu être évité, tout comme le bombardement au Napalm de petites villes française comme celle de Royan alors que la capitulation Allemande n'était plus qu'affaire de semaines. Alors il explique, documents à l'appui, les faits montrant en quoi ces bombardements étaient totalement dispensables, bien que l'on ait tout fait pour faire croire le contraire au peuple.

Et les bombardements Howard Zinn les connaît bien. Avant d'être l'Historien réputé qu'il est, avant sa prise de conscience, il a été dans l'armée Américaine, membre de l'équipage d'un bombardier. Il a bombardé des petites villes comme celle de Royan et a l'époque s'en est lui-même félicité, tout comme il s'est félicité des bombardements par les Etats-Unis des villes d'Hiroshima et Nagasaki. Et il sait que toutes les fameuses frappes qualifiés par certains de "chirurgicales" pour rassurer l'opinion publique, ne sont jamais réellement aussi précises, loin de là, car ce n'est techniquement pas possible.

"Nous pouvons juger l'ennemi avec un minimum de lucidité, mais pas nous-mêmes. Pour ce faire, il faudrait d'abord remettre en question cette idée toute simple voulant que, si l'ennemi est incontestablement diabolique, nous soyons incontestablement bons".

Ainsi au delà de cela, il réfléchit sur ce "nous". Il observe que les hommes de pouvoirs aiment à s'assimiler au peuple en utilisant ce "nous". Pour la raison très simple que si les désirs du peuple peuvent être parfois nobles ou du moins compréhensible, ceux de nos gouvernants le sont généralement bien moins. A ce titre les raisons du désir de bombarder des villes comme Royan alors que ce n'est pas nécessaire ou encore Hiroshima et Nagasaki décrites par Howard Zinn, documents et témoignages de hauts placés à l'appui sont criantes.

"Si ils ne sont pas déjà au courant, nos visiteurs, touristes français ou étrangers, doivent savoir que cette ville nouvelle à l'architecture moderne est le résultat d'un crime que personne n'a encore admis avoir commis et pour lequel personne encore n'a été punis".
Ulysse Botton, imprimeur Royannais et ex-membre de la résistance.

Et des crimes impunis de ce genre, il y en a encore, et aux conséquences dramatiques. Mais pas que pour les populations locales.

On peut citer bien sûr l'intervention en Irak à partir de 2003, dirigée notamment par George W. Bush, sous prétexte d'armes de destructions massives que Saddam Hussein ne possédait finalement même pas. Cette invasion s'est non seulement soldé sur la déstabilisation totale d'un pays, sur les très nombreux crimes de guerres et bavures (les fameuses "frappes chirurgicales") notamment révélés par Wikileaks, mais c'est aussi cette déstabilisation qui a probablement permis à Daesh de voir le jour et de créer une bonne partie de son foyer en Irak. Alors certes les Etats-Unis ont tué Oussama Ben Laden, mais Al-Qaïda existe toujours, simplement sous d'autres noms, s'appelant d'abord Jabhat Al-Nosra puis Fatah Al-Cham.

On peut citer aussi l'intervention en Libye en 2011 contre Mouammar Khadafi mené notamment par Nicolas Sarkozy, David Cameron et Barack Obama. Bien sûr comme on nous l'a répété il n'y avait aucun intérêt financier motivant cette intervention, juste le "bien commun"... En attendant cette intervention à non seulement provoqué une déstabilisation totale de ce pays, mais cela a offert également à Daesh une porte d'entrée en Libye.

Et maintenant en 2017 c'est Donald Trump qui décide d'attaquer par des frappes aériennes les forces gouvernementales Syrienne. Fait assez ironique c'est la première décision de son mandat qui sera soutenue par François Hollande et Angela Merkel (toujours dans les bons coups...). Un diplomate Bolivien a cependant critiqué de manière pertinente à l'ONU, cette action Américaine en Syrie en rappelant son passif en terme d'impérialisme, en rappelant que les Etats-Unis utilisent la même rhétorique qui avait été utilisé pour envahir l'Irak avec les résultats qu'on connaît. (1)

Alors qu'ils se disent Démocrates ou Républicains, Socialistes ou Libéraux, Conservateurs ou quoi que ce soit d'autre, gardons la tête froide et méfions-nous des déclarations va-t-en guerre... Et dans ce contexte, lire ce court essai de 90 pages d'Howard Zinn me paraît plus que jamais important.

Pour terminer je citerais ce bon vieux Charlie Chaplin :
"Wars, conflict, it's all Business. One murder makes a villain ; millions, a hero. Numbers sanctify, my good fellow !" (2)

(1) https://www.youtube.com/watch?v=CYFgy6jzFrs&t=209s : L'intervention du diplomate Bolivien au conseil de sécurité de l'ONU.

(2) https://www.youtube.com/watch?v=W8NBHNG9Dsw : Le délicieux extrait du film Monsieur Verdoux de Charlie Chaplin d'où la phrase est tirée, plus que jamais d'actualité...