Portrait d'êtres "à la fois brillants et brisés"

Dans La cache, le journaliste Christophe Boltanski se plonge et plonge le lecteur dans l'histoire tourmentée et mystérieuse de sa famille, une famille "bizarroïde" de l'aveu même de l'auteur qui a longtemps vécu enfermée sur elle-même dans ce vaste appartement rue de Grenelle, faisant corps en toute circonstance pour se protéger des tourments du monde.


Ce roman autobiographique s'ouvre ainsi sur une énigme : pourquoi cette famille qui a donné naissance au célèbre sociologue Luc Boltanski, père de l'auteur, et à l'artiste contemporain mondialement connu Christian Boltanki, oncle de l'auteur, a-t-elle vécu dans cette peur du monde ? Comme l'écrit Christophe Boltanski, "nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la maladie comme des moyens mobilisés pour la contrer. Des porteurs d'uniforme. De toute personne investie d'une autorité quelconque, donc d'un pouvoir de nuire. Des formulaires officiels. De la petite comme de la grande histoire. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. Des Français qui se définissent comme bons, par opposition à ceux qu'ils jugent mauvais. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr" (p. 57-58).


Au fil des pages et des chapitres qui sont structurés autour des pièces de cet appartement (la cour puis la cuisine puis le cabinet médical du grand-père jusqu'au grenier), Christophe Boltanski nous dévoile les secrets de cette famille fascinante. Comme pour mieux figer la légende entourant sa famille, l'auteur consigne minutieusement toutes les anecdotes, tous les souvenirs, tous les récits avant qu'ils s'évanouissent dans l'oubli du temps.


Peu à peu, le lecteur comprend ainsi la source de cette peur indicible et omniprésente. Elle réside dans cette entreprise inhumaine de déconstruction et de destruction par l'Etat français d'hommes et de femmes ayant cru en l'idéal républicain. La Première Guerre mondiale à laquelle participe le grand-père de Christophe Boltanski puis, surtout, la montée de l'antisémitisme et l'instauration du régime de Vichy sont ainsi décrites avec stupeur et effroi.


Que reste-t-il de ces pages sombres de notre histoire, si ce ne sont des "êtres à la fois brillants et brisés, des naufragés sans repères, délivrés de toute attache, animés par un sentiment aigu du provisoire. Leur sens du relatif, leur conscience de la précarité de l'ordre social les rendaient aussi plus libres, plus ouverts, plus indulgents, malgré leurs vies pleines de morts" (p. 139) ?


S'inscrivant dans la lignée de romans tels que Dora Bruder de Patrick Modiano ou Austerlitz de W. G. Sebald, La cache est ainsi un très beau roman sur l'intimité d'une famille et la fragilité de la mémoire face aux tumultes de l'Histoire.

Zeldafan70
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le 25 févr. 2019

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