Cet atypique album nous aurons bien monopolisé, mes collègues libraires jeunesse et moi, car s'il est bien un album "jeunesse", j'estime que cet album n'est néanmoins pas destiné à la jeunesse, mais plutôt...aux profs!


Déjà, il faut savoir qu'avec 108 pages bien remplies, on ne rejoint pas le "facteur temps", c'est-à-dire le délais maximal de concentration et de patience requis pour les petits lecteurs du groupe des 6 à 9 ans. À moins de le lire chroniques après chroniques, en les séparant. C'est un album assez costaud. Il est le résultat de petites chroniques de madame Arsenault, basé sur son expérience de professeur dans une école de niveau primaire, d'abord parues sur sa page Facebook, puis dans la revue Lirelu, depuis 2018. Ses textes furent partagés outremer grâce à la page universitaire européenne "Voie Libre". Ici, nous avons, avec Madame A, sa première année, où l'enseignante du secondaire deviens enseignante du primaire.


Ensuite, nous avons songé aux 9-12 ans, mais tout comme le groupe des 6-9 ans, nous avons estimé que certains thèmes étaient plus ou moins adéquats. Prenons par exemple le personnage de 4e année du primaire surnommé "Pré-ado 0.7% d'alcool", puisque c'est ainsi qu'il s'est présenté. Pour un adulte, c'est drôle. Ce genre de réplique trop mature m'est également arrivé du temps où j'étais dans les camps de jour, mais ça ne constituait nullement une norme, il faut dire. Nous avons, mes collègues et moi, trouvé cependant un peu confrontant la présence de ce sujet dans l'album, qui revient souvent puisque c'est le surnom du personnage. le sujet du VPH aussi va être abordé ( on parle vraiment de cette maladie transmise sexuellement en 4e année primaire?! Étonnant.)


Cela dit, ce n'est pas le seul heurt pour le groupe des 9-12 ans. Ce que j'appelle "le second degré", pour désigner le sens caché derrière certaines phrases, est très présent lui aussi. C'est donc la capacité de compréhension des 9-12 ans qui me semble peu probable. Je vous donne un exemple:


" [...] J'ai eu besoin d'explications pour comprendre le dessin se trouvant sous le mot "chat". [...] "C'est un abri, madame Marie-Andrée, pour tous les chats de la nature, même les moins champions. Et j'ai mis des puits pour qu'ils boivent de l'eau sans se chicaner". Ensuite, il y a eu une perte de contrôle monumentale [ ... ] , mais c'est oublié. Après tout, quelque part dans un cahier, les chats de la nature buvaient de l'eau de puits sans se chicaner."


Je n'ai pas de doutes que ce second degré sera compréhensible pour un adulte ou un jeune adulte, mais pour mes 9-12 ans, j'ai des doutes. Comprendront-ils le lâche prise de madame Marie-Andrée, qui relativise le drame par le fait que dans l'esprit d'une de ses enfants, le monde est plus beau?


Quand au lectorat ado, je ne vois pas ce qu'ils pourraient y trouver de pertinent à leur groupe d'âge, de manière générale.


Comprenez-moi bien, je ne tente pas de dire que cet album est mauvais, il est même très bon! Je pense seulement qu'il n'est pas, globalement, conçu pour la jeunesse. Par contre, avec ses récits farfelus, ses anecdotes amusantes et l'implication à large spectre de la pensée des enfants, ce serait un bel album pour les adultes.


Ce qui est assez justement abordé ici, c'est la perspective des plus jeunes sur le monde. Les enfants du primaire, surtout les plus jeunes, ont une approche encore très naïve du monde, où la logique est parfois distordue, la magie encore présente, la causalité encore très simpliste. Mais c'est ce qui fait leur charme! Paradoxalement, leur conception du monde semble si simple qu'on peut parfois se dire qu'ils comprennent le monde mieux que nous, les adultes, sur certains points. Il faut dire, en outre, que la petite jeunesse primaire a souvent moins de considération de notre part que le serait la jeunesse adolescente, en ce sens où les prend moins au sérieux. Une erreurs de la part des adultes, je pense. Ils mériteraient plus d'égards, ils ont des choses à nous apprendre. Oh, ils gobent notre énergie, ça c'est sur et on le voit dans cette histoire. Difficile de leur en vouloir, ils sont en mode "exploration", après tout.


Que dire, qui plus est, de leurs réponses et constats très souvent éberluant? Combien de fois madame Marie-Andrée s'est vu poser des questions ou soumettre des réponses qu'on aurait même pas pu inventer tant elles sont stupéfiantes? Souvent, en fait, vous verrez. Et c'est sans doute un des aspects les plus adorable de ce gros album. Ce qui est aussi remarquable avec ceux qu'elle appellent "ses minis", c'est la façon dont c'est finalement le prof qui doit s'adapter à ses petits étudiants, et non l'inverse.


Je dois souligner que certaines allusions ou certains constats m'ont été impossible à comprendre et ce, en dépit de mes trois décennies de vie. Je pense que c'est tributaire au fait que je ne suis pas professeur. Je réitère que cet album vise le lectorat professoral, car même les références me semblent aller en ce sens. Il est possible aussi que cela vise le lectorat parental, qui n'ont sans doute pas idée de ce qu'est la gestion de classe en primaire 1, 3 et 4. À titre personnel, j'en ai apprit. Ça me semblait être un joyeux bazar, mais il fait garder en tête que madame Marie-Andrée était remplaçante. Ce ne doit pas être la même dynamique qu'avec le professeur principal. Enfin, j'imagine.


On ne peut faire un tour d'horizon de cet album bien rempli sans parler des illsutrations. Elles sont le résultat de nombreuses heures de travail, vu la taille de l'album. Dans une palette de roses, de gris violacés et de jaunes, c'est une combinaison de couleur atypique, mais qui est plaisante à l'oeil. le graphisme est varié: nous avons aussi bien des pleines pages que des illustrations qui se partagent la même page. Cela lui confère un style de romans graphique. Parfois nous sommes dans les faits, d'autres fois dans les idées des personnages. Certains d'entre eux ont d'ailleurs des attributs constants, mais imaginaires, comme la "fée" qui a ses ailes dans le dos, ou le "dragon" qui a des cornes, une queue de dragon et des ailes de chauve-souris. Les postures et expressions faciales des personnages sont variées et fluides. le tout dégage une grande douceur et du dynamisme, deux éléments qui se ressentent dans le texte également. Même les pages de garde sont belles, dans la palette rose, avec un motif floral.


Pour ceux et celles qui diraient que c'est "enfantin", je leur ferai constater que les adultes aussi aiment le graphisme qui est employé dans les oeuvres jeunesse et qu'il serait temps de cesser de penser que tous les adultes doivent se cantonner au graphisme sérieux ou aux romans. Je constate chaque jours le grand amour des adultes pour les albums jeunesse, très souvent pour leurs illustrations et leurs messages pertinents. La littérature jeunesse sert tous les âges, elle est universelle et porte les espoirs nourris pour la nouvelle génération. On ne s'étonne pas que des ados lisent en littérature adulte, pourquoi, alors s'étonner de voir les adultes rechercher la "magie" pertinente de la littérature jeunesse?


Cet album me laisse penser que nous verrons voir naître des albums pour lectorat adulte. Il traite d'école, certes, mais du point de vue du professeur, pas de celui des enfants. Il met en lumière le quotidien d'une profession mal valorisée et mal comprise au Québec. C'est pourtant le choix de carrière de bon nombre de nos concitoyens et j'ose croire qu'ils ont pour les enfants la même foi passionnée pour eux que nous, libraires, avons pour les livres. Nous nous côtoyons de près, d'ailleurs, et je vois chaque jours des profs rempli d'idées et de projets, animés de la même passion que nous pour les livres, mais dans la perspective de les utiliser pour leur classe. Ça me fait donc réellement plaisir de voir un album qui je verrais être offert en cadeau pour eux, nos profs, ceux qui forment la prochaine génération avec temps d'enthousiasme, malgré des conditions pas toujours faciles.


Petite précision ici: Vous verrez quelques fois des formulations ou des mots mal écrits. Ce sont des "fautes volontaires", qu'on emplois pour garder le réalisme de l'oral, surtout avec les jeunes personnages, plus sujets à en faire. Par exemple: "Séverte", plutôt que "sévère". Ce n’est donc pas une mauvais écriture du français, comme certains le croit, simplement un soucis de réalisme et accessoirement, une façon d'attendrir le lecteur. Qui n'est pas amusé des petites erreurs de français de nos tout-petits?


C'est donc une ode à la profession et aux jeunes étudiants, où une sincère affection entre une professeur et ses élèves se développe dans un quotidien à la fois joyeux et éprouvant. Un album à la fois drôle, surprenant, tendre et pétillant.


Pour un lectorat jeune adulte/Adulte, avec un intérêt spécifique aux professeurs, ainsi qu'aux parents. Une idée de cadeau pour le prof de votre enfant pour Noël, peut-être?

Créée

le 24 sept. 2022

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Shaynning

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