Mettez deux jumeaux séparés à la naissance dans une tempête, l'un restant avec la mère, l'autre avec le père, chacun des parents ne sachant pas ce qu'est devenue l'autre moitié de la famille. Ajoutez que les deux jumeaux s'appellent tous les deux Antipholus, et qu'ils sont nés en même temps que deux autres jumeaux, pris dans la même tempête, tous les deux nommés Dromio, et tous les deux devenus les serviteurs des deux Antipholus. Un Antipholus vit à Syracuse, l'autre à Éphèse. L'Antipholus de Syracuse parcourt le monde en quête de son frère jumeau, jusqu'au jour où il arrive à Éphèse, où il est interdit aux citoyens de Syracuse de débarquer sous peine de mort. De même fait le père, qui, lui, cherche l'Antipholus de Syracuse (vous me suivez ?), et se fait attraper par les autorités d'Éphèse à peine le pied à terre, et donc condamner à mort. C'est parti pour une comédie où chaque Antipholus est pris pour l'autre, et chaque Dromio pour son jumeau. Pas très réaliste, tout ça ? Non, sans doute pas, mais il s'agit là de convention théâtrale et le public se pliera (ou en tout cas devait se plier, à l'époque de Shakespeare) à cette situation rocambolesque.


Il s'agit là d’une adaptation des Ménechmes de Plaute, mais Shakespeare en a rajouté un peu (beaucoup, en fait) avec les serviteurs jumeaux. Du comique de situation, donc, dans une comédie où Shakespeare s'est bizarrement conformé aux fameuses trois unités qui seront bientôt de mise dans le théâtre français (la seule autre exception dans son œuvre étant La tempête, ce qui est encore plus curieux). Michèle Vignaux, shakespearienne avérée, y voit carrément une interrogation, notamment sur l'usurpation d’identité, qui relève en partie de la métaphysique. D'autres y voient dans Antipholus d'Éphèse le personnage le plus sombre de toute l’œuvre de Shakespeare... (bon, oui, c'est un sale type) De mon point de vue de non spécialiste, c'est aller un peu loin, et je me demande si l'on n'a pas tendance à attribuer certaines qualités aux textes de Shakespeare juste sous prétexte qu'il est Shakespeare. Je parie bien, en tout cas, que peu de gens se retrouveront dans ces lectures d'une pièce qui, de plus, est loin d'être hilarante, les méprises se répétant à l'envi. On a envie de crier aux personnages, comme le public élisabéthain, qu'ils sont des imbéciles qui se font avoir à tous les coups (et tout ça malgré l'argument de la convention théâtrale que j'invoquais en début de critique).


Ce qu'il y a de plus intéressant dans cette pièce, c’est ce qui n'y est pas, ou plutôt ce qui est tout juste amorcé. Tempête, naufrage, jumeaux, méprises sur l'identité de certains personnages... ça vous rappelle forcément quelques petites choses. Et lorsque je vous aurait révélé que l'Antipholus et le Dromio de Syracuse, égarés par la situation étrange dans laquelle ils se trouvent et n'y comprenant goutte, croient rêver ou être la proie des fées, vous penserez encore plus fort à une certaine comédie féerique... N'empêche que toutes ces thématiques qu'on retrouvera avec bonheur dans La nuit des rois, Le songe d'un nuit d'été, La tempête, et j'en passe, ne seront jamais ici développées. C'est malgré tout le comique de situation qui prend le dessus. Ce qui fait que le grand intérêt de la pièce réside dans l'intérêt même qu'on porte à Shakespeare, et qu'à mon avis, seuls les grands lecteurs de Shakespeare, c'est-à-dire ceux qui ont envie ou besoin de connaître tout son œuvre dramatique, ont réellement besoin de s'y frotter. Si vous ne comptez pas lire tout Shakespeare dans votre vie (ce qui est tout à fait autorisé par la loi), je vous conseillerai de passer directement à autre chose.

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le 9 août 2018

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