Tout ce qui était n'est plus ; tout ce qui sera n'est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux.

Si Goethe et Chateaubriand étaient déjà passés par là, c’est incontestablement Musset qui a vraiment pris le temps, par l’intermédiaire de ce livre, de faire comprendre ce qu’est ce fichu « mal du siècle ».


Imaginez ! Vous avez été biberonné durant votre enfance avec la promesse de marcher des kilomètres et des kilomètres en uniforme, sous les élans galvanisants, martiaux et patriotiques du Chant du départ, pouvant avoir la chance de hurler des « Vive l’Empereur ! », si une légendaire silhouette, portant un tricorne, daigne vous contempler au loin, d’une hauteur paraissant inatteignable. L’esprit euphorique — avec juste en fond la pensée que l’on ne reviendra peut-être pas — prêt, au milieu de la frénésie des éclats de poudre, de terre et de chair, à servir héroïquement la France.


Ah bon, non, finalement, les Bourbons reviennent et la paix avec eux : gros sevrage de toxico en manque. Encore, si vous ne croulez pas sous la thune, pour vous occuper, vous avez le travail et les tracas banals quotidiens. Par contre, si vous êtes riche, que vous ne savez pas quoi foutre de vos dix doigts, vous pouvez tomber dans l’oisiveté — passant le temps à consommer de l’alcool et des femmes — le cerveau miné par un désenchantement autodestructeur, ne souhaitant croire en rien.


Se railler de la gloire, de la religion, de l’amour, de tout au monde, est une grande consolation pour ceux qui ne savent que faire ; ils se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon. Et puis, il est doux de se croire malheureux lorsqu’on n’est que vide et ennuyé.

Voilà, c’est cela qu’a vécu Alfred de Musset, et qu’il fait revivre à son alter ego : Octave. Oui, La Confession d’un enfant du siècle est très fortement teinté d’autobiographie. C’est engoncé dans cette déprime profonde, éloigné mentalement et géographiquement de ses vices, suite au choc brutal de la mort de son père, que notre protagoniste-narrateur — oui, c’est écrit à la première personne… vu le titre de l’œuvre, ce n’est guère une surprise — fait la rencontre de Brigitte (à savoir une certaine George Sand dans la réalité…).


Eh ben, mon salaud, tu étais un beau connard. Après la lecture de ce récit, je comprends tout à fait pourquoi l’auteure de La Mare au diable est allée voir ailleurs, en dépit du fait qu’elle continuait à être éprise. La Confession d’un enfant du siècle, c’est l’autoportrait d’un beau connard qui est pleinement conscient de l’être, qui voudrait s’en empêcher, mais qui n’y parvient pas.


Et une des trois grandes qualités de ce regard introspectif, c’est que Musset n’y dissimule rien. Il est d’une très grande franchise, d’une grande lucidité sur ce qu’il est. Il ne s’épargne pas et ne nous épargne aucune de ses faiblesses, aucune de ses contradictions. On est noyé dans les méandres réflexifs d’un narcissique instable, incapable de ne pas nuire à lui-même et aux autres.


La deuxième grande qualité — évoquée dans les premiers paragraphes de cette critique — réside dans la manière dont l’écrivain réussit à faire l’autopsie d’une époque, à la faire parfaitement ressentir à un médiocre lecteur du XXIᵉ siècle, qui — malgré deux cents ans d'écart — s'y reconnaît maintes fois.


La troisième et dernière grande qualité — qui enrobe les deux autres — c’est le style. S’il est, de rares fois, un peu trop ampoulé et un peu trop larmoyant — qu’on a envie de lui dire à ces moments-là : « calme-toi, Alfredo ! » — globalement, il est d’une richesse et d’une puissance évocatrice, à elles seules, dignes de tous les éloges. Franchement, Alfred de Musset nous sort fréquemment des phrases qui claquent grave ; c’est sublime.


Bref, La Confession d’un enfant du siècle est un roman à la fois intime et lucide, profondément ancré dans son époque, mais capable de résonner bien au-delà. Musset y expose sans fard ses failles, ses excès, ses contradictions, et parvient à faire de son désarroi personnel le reflet d’un malaise plus vaste. L’ensemble est remarquable par sa grande franchise, porté par un style souvent éblouissant. C’est un texte qui, à l'échelle d'une personne et d'une époque, dit quelque chose de durable, d'intemporel et d'universel sur le vide et la difficulté d’être. C'est triste, mais on est beaucoup plus proche des « enfants du siècle » que l'on ne le penserait.



Plume231
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le 12 juin 2025

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