Présenté comme une brillante variation sur La métamorphose de Franz Kafka, ce court roman (173 pages pour l’édition de poche chez Philippe Picquier) se présente comme le journal d’un jeune japonais qui se cherche, reclus du monde. Il se présente comme un hikikomori, nom donné dans le pays du soleil levant à ces personnes qui, refusant d’affronter le monde, vivent repliées sur elles-mêmes enfermées dans un appartement voire dans une chambre, avec l’ordinateur comme moyen plus ou moins exclusif de communication avec les autres. Ici, le jeune homme habite dans un appartement où vivent également ses parents. Un matin, il refuse d’aller au travail, ne donne ni excuse ni justification et, de fil en aiguille, reste dans sa chambre à ruminer de sombres pensées qu’il note.


Si la comparaison avec le roman de Kafka peut décevoir (évolution physique du personnage central), une réflexion approfondie permet d’affirmer que nous avons ici un roman qui ne se contente pas d’imiter un modèle, mais qui le garde comme référence tout en faisant œuvre personnelle, une œuvre très représentative de son époque.


Le personnage rédacteur tente de comprendre ce qui lui arrive. Ayant lu plusieurs fois La métamorphose il fait le parallèle entre sa situation et celle de Gregor Samsa le personnage de Kafka. C’est d’autant plus pertinent que visiblement il (Keiichiro Hirano) connaît bien La métamorphose puisqu’il va jusqu’à en faire une analyse assez poussée qui intéresserait certainement beaucoup de membres de SensCritique, par ses aspects psychologiques, familiaux et sociologiques. A vrai dire, l’idéal serait de lire Hirano en ayant encore Kafka bien en tête.


Mais Hirano ne se contente pas de ce parallèle avec l’écrivain pragois. Un autre passage devrait également intéresser les membres de SensCritique, celui où le reclus volontaire parle de son expérience sur Internet. A la recherche de son moi véritable, il vient donner ses avis sur un forum orienté littérature, puis crée son propre blog. Deux expériences qui rappellent les dérives qu’on peut observer un peu partout dans chaque communauté, virtuelle ou non. D’abord, la façon de s’y introduire révèle beaucoup sur la personnalité de l’arrivant, même si l’usage de masques peut ensuite entrainer quelques péripéties plus ou moins attendues. Notre jeune homme en quête de son moi véritable tombe dans un piège très commun, en confondant talent et popularité. Constat facile : un petit succès rapide est à la portée du premier venu qui ne s’encombre pas de scrupule. Ensuite, la griserie due à ce succès peut inciter à poursuivre sur la même voie. Pour se conforter dans son opinion, quoi de mieux que des chiffres ? Quoi de mieux également pour mentir à tout le monde, y compris à soi-même ? Effectivement, notre reclus a beau lui-même manipuler certains de ces chiffres et donc savoir implicitement que son succès n’est qu’artificiel, il agit comme si tout cela le stimulait à la façon d’une drogue.


Comme l’affirmait Andy Warhol (« A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale »), le reclus considère que faire émerger son moi véritable (La dernière métamorphose), doit passer par une reconnaissance publique. Il sait s’intégrer à une communauté depuis son enfance. Mais il a compris que c’est en adoptant une mentalité de caméléon, ce qui fonctionne dans tous les milieux. Il désespère de faire preuve d’une véritable personnalité, indépendamment de l’influence des autres. Ne trouvant pas le moyen (très difficile il est vrai), il désespère, tout en faisant le tour des moyens utilisés par les uns et les autres. Il se montre ainsi comme un exemple type des personnalités du monde d’aujourd’hui, Hirano forçant le respect en soutenant la comparaison avec l’œuvre de Kafka, ce qui n’est pas rien.


Un détail m’a d’abord rebuté dans ce roman, la mise en avant d’un vocabulaire tournant autour de La métamorphose par des mots en caractères gras. Une façon assez grossière de souligner le rapport avec le roman de Kafka. Mais la fin montre que cela correspond bien avec la personnalité de celui qui écrit (attention, Hirano se montre suffisamment fin pour faire sentir qu’en écrivant il se met dans la peau d’un personnage fictif).


Un roman très intelligent, d’une construction irréprochable malgré certains passages qu’on pourrait considérer comme des digressions (justifiées par la personnalité du rédacteur), qui sans le dire ouvertement, fait sentir la position de l’individu dans nos sociétés modernes. Globalement, l’individu cherche à laisser une trace durable (à l’exemple du personnage qui discourt un peu dans le vide dans une soirée, dans le récent A ghost story, le film de David Lowery), quitte à employer un masque, se comporter en imposteur voire en agresseur, au lieu de murir une réflexion personnelle. Il est vrai que tout individu dépend d’une manière ou d’une autre de la société, il lui est donc quasiment impossible de s’affranchir de toute emprise de cette société. Comme le dit le philosophe, pour exister pleinement, l’individu recherche l’approbation de ses pairs. La liberté (relative) de l’individu consiste à choisir ses pairs.


Alors, un chef-d’œuvre ? A mon avis quand même pas, car si tout dans ce roman respire l’intelligence, son histoire n’est pas de celles qui marquent durablement l’esprit.

Electron
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Littérature japonaise et Lus en 2018

Créée

le 27 févr. 2018

Critique lue 292 fois

6 j'aime

7 commentaires

Electron

Écrit par

Critique lue 292 fois

6
7

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

111 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

78 j'aime

4

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20