Après "Au printemps des monstres" qui m'avait fait découvrir l'enthousiasmante singularité de Philippe Jaenada, j'avais apprécié, mais à un degré moindre "La serpe" et "Le chameau sauvage". L'auteur est-il allé ici trop loin dans ses digressions et la narration de détails à l'importance discutable ou bien me suis-je finalement lassé de sa démarche ? Le fait est que je n'ai guère trouvé mon compte avec sa dernière publication.
Déjà, les enjeux ne sont pas de la même nature ici, la recherche des causes d'un suicide à 20 ans, un sujet certes loin d'être dénué d'intérêt, n'est pas aussi passionnante qu'une enquête tendant à démontrer l'innocence d'un homme que pourtant tout accuse, comme c'était le cas dans "La serpe" et "Au printemps des monstres". Jaenada a dû en avoir conscience puisqu'il a doublé sa narration de la vie mouvementée de la jeune Kaky d'une chronique d'un tour de France "par les bords" le conduisant de Dunkerque à Dunkerque en passant par Hendaye, Port-Vendres, Briançon et Sedan, entre autres, une épopée de bars en bars au cours de laquelle il absorbe whisky sur whisky sans jamais amoindrir sa capacité à reprendre le volant le lendemain matin.
Le lecteur, lui, n'a pas sa robustesse, noyé qu'il est sous un flot ininterrompu de personnages dont on n'ignore plus rien sur le moment mais dont on oublie quasiment tout sitôt la parenthèse sur eux refermée. Mais pourquoi donc Jaenada persiste-t-il à ignorer les suppliques de son éditeur lui demandant d'écrire enfin un jour un livre de moins de 400 pages si c'est pour nous infliger des lignes et des lignes sans rapport aucun avec le sujet ou les sujets traités ? A titre d'exemple, je ne sais plus dans quelle ville de son périple, il croit bon de nous signaler qu'après avoir croisé une vieille dame sur son déambulateur, il se retourne pour l'observer juste au moment où elle se retourne aussi, ce sans que l'"anecdote" en question vienne étayer quelque réflexion que ce soit.
Que Philippe Jaenada ait éprouvé un plaisir intense à la recherche 70 ans après d'informations sur tous ceux qui ont eu un lien de près ou (surtout) de loin avec la vie de la jeune Jacqueline Harispe/Kaki/Kaky, soit, ne met-il pas en exergue au début de l'ouvrage la phrase "Toutes les existences sont solidaires les unes des autres" ? Mais a-t-il conscience des limites de l'exercice quand il restitue l'intégralité de ses trouvailles (Faut pas gâcher !) dans ce qui s'apparente parfois à une bouillie indigeste ?
L'humour que j'avais tant apprécié dans ma découverte de Jaenada a fini par me laisser insensible ou pire, à m'agacer. A trop se répéter et à tourner autour de son nombril (Ah ! Ces évocations récurrentes de sa femme ( Inspecteur Colombo, sors de ce corps !) et de son fils !), notre homme m'a finalement convaincu de ne plus retourner sur ses pas mais je lui sais gré de m'avoir fait découvrir l'agrément qu'apportent parfois les digressions dans une narration.