"...cet état merveilleux, ennuyeux, nostalgique auquel j'aspire: la normalité."

Tout le monde ne manquera pas de s'extasier sur les intuitions que l'auteure de cette Fin des hommes a eues en décrivant cette pandémie pile au moment où une pandémie frappe l'humanité réelle. A part que la sienne tue 90 % des hommes en quelques mois, ce qui fait tout de même une sacrée différence, laquelle aurait pu conduire à révolutionner l'espèce humaine (alors que le coronavirus ne fait que renforcer les pires défauts de la société néo-libérale). Passons.


La mise en place du récit laissait présager beaucoup de bonnes choses: des réflexions sur la société, sur le rôle des hommes et des femmes (donc, sur une des pires inégalités sociales), des discussions à propos de l'impact de l'humanité sur la planète et sur l'avenir de l'espèce; on était en droit d'espérer que les protagonistes soulèveraient d'importantes questions concernant nos sales petites habitudes et les raisons de l'épidémie.. et tant d'autres choses (qu'un auteur de SF n'aurait pas manqué de soulever, ou à tout le moins, d'aborder). Au lieu de quoi, on a droit à.. rien ou presque.


Le récit, éclaté en très courts chapitres de 5 pages maxi., toujours racontés à la première personne du point de vue de diverses personnes (dont certaines n'apparaissent qu'une fois, et qui s'expriment toutes avec la même aisance et sur le même style, ce qui finit par être embarrassant), après un démarrage intéressant (le chaos, la choc, la peur..) s'enlise très vite dans des considérations qui oscillent entre l'anecdotique et le sentimentalisme à répétition (à partir de la septième fois où telle narratrice exprime son chagrin d'être veuve, on tombe en panne de mouchoir).


Les sujets abordés se résument en fait à trois: qui sera la première chercheuse à fabriquer un vaccin (donc à "sauver" l'humanité)? La Chine deviendra-t-elle une démocratie? Comment retrouver un mari et fonder une brave petite famille? Réponses: c'est Lisa qui gagnera le Nobel de médecine (mais elle doit partager avec deux autres chercheuses dont les découvertes lui ont permis de "réussir"; du coup, Lisa décide de ne pas divulguer gratuitement la formule du vaccin et de la vendre très cher à un seul pays (le Canada; pourquoi? aucune idée) qui négociera ensuite les droits; sympa, non? Réaction de la communauté scientifique: "Oh, allez, elle a bien le droit d'en profiter, la chérie; elle a beaucoup travaillé"); la Chine communiste s'effondre et devient.. douze démocraties (d'accord, cool pour elleux, mais comment ça marche? qu'est-ce qu'elles font de nouveau? "Euh.. je ne sais pas; je ne parle pas chinois"); enfin, pour trouver un nouveau mari, une informaticienne a créé.. une application de rencontre. Ouais, ouais.. un truc qu'on avait déjà au lycée mais en vachement mieux.


Réorganiser la société? Trop compliqué.


Ré-éduquer les hommes qui restent? Ouh, là, non!


Le dérèglement climatique? Le quoi?


L'oppression capitaliste qui a conduit à cet énième virus? Mon dieu, mon dieu, vous en posez, des questions. Pi d'abord, c'est pas le capitalisme qui a inventé le virus; c'est des méchants trafiquants d'animaux. Ah, d'accord.


Et au fait, le point de vue féministe sur la disparition des hommes? Mmh.. c'est quoi, une féministe? C'est comme une lesbienne, mais en plus politisé, c'est ça?


Bref, il y a tant de lacunes dans ce fromage qu'on n'en voit plus que les trous. Et les trous, ça ne nourrit pas.


Sous ses dehors de roman d'anticipation, La fin des hommes est avant tout un divertissement lacrymal, une telenovela d'après-midi, un hymne à la normalité (le titre de la présente chronique est d'ailleurs extrait tel quel de la postface de l'auteure), un hommage rendu à la "pensée" de Margaret Thatcher et à la "philosophie" de Ronald Reagan, bref, une déception majuscule (de l'ordre d'un Michel Faber, cet autre auteur-baudruche très à la mode parce qu'il prend bien soin de n'égratigner personne et de ne surtout rien proposer de neuf, et dont chaque livre part d'une bonne idée pour aller nulle part), et sans doute un futur film Netflix, autrement dit, la consécration suprême de la médiocrité bien pensante qui caractérise la culture actuelle, celle qui est née après les années 1980, et pour qui le concept de révolution, c'est pas cool.

alfredboudry
4
Écrit par

Créée

le 26 avr. 2022

Critique lue 182 fois

4 j'aime

Alfred Boudry

Écrit par

Critique lue 182 fois

4

D'autres avis sur La Fin des hommes

La Fin des hommes
Lazydad
7

Un formidable travail de recherches géopolitiques et médicales

Quel formidable travail de recherches géopolitiques et médicales il a fallu pour élaborer ce roman d'anticipation ! Le scénario est génial mais l'action peine à arriver. Le roman est sans doute un...

le 15 oct. 2023

La Fin des hommes
TmbM
7

Critique de La Fin des hommes par TmbM

Cette maladie foudroyante touche le monde entier mais ne tue que les hommes. Alors que les représentants du sexe fort, vulnérables, deviennent une minorité en voie d'extinction, les femmes s'emparent...

Par

le 2 août 2023

La Fin des hommes
Jude
8

Critique de La Fin des hommes par Jude

La fin des hommes est un roman qui nous parle intimement d’un phénomène dont on aurait préféré se passer : en 2025, une maladie extrêmement contagieuse se propage dans le monde entier, et ne touche...

Par

le 29 mars 2022

Du même critique

Le Cercle
alfredboudry
6

Le sourire de mon requin est plus radieux que ton avenir

A mes yeux, Dave Eggers est un peu le Quentin Tarantino de la littérature anglo-saxonne. Il a surgi un jour de l'anonymat avec une œuvre réputée d'emblée géniale (et qui l'était assez) après quoi il...

le 3 juil. 2014

16 j'aime

4

Tout peut changer
alfredboudry
9

La révolution a commencé... sans nous ?

(Commençons par un détail technique : il est absurde de devoir noter certains livres pour avoir le "droit" de les critiquer ici. Va noter la Bible ou le Capital ou l'Odyssée ! Cela ne rime évidemment...

le 17 nov. 2014

13 j'aime

8

Au commencement était...
alfredboudry
10

Monumentale pulvérisation de paradigmes (garantie et approuvée)

Avant d'entrer dans le détail, je dois raconter une anecdote personnelle. Il se trouve qu'une bonne partie de ma famille est archéologue. J'aurais d'ailleurs pu en être un, moi aussi, si j'avais...

le 10 déc. 2021

11 j'aime

2