La Forêt sombre
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La Forêt sombre

livre de Liu Cixin (2008)

"Le Problème à Trois Corps" était un roman malin, reposant sur un concept ludique qui permettait de rendre accessible ou peut être plus exactement de dissimuler la nature hard science du roman de Liu Cixin. Le tout était enrobé dans un contexte politique et historique qui apportait un souffle dramatique et de l'épaisseur à des personnages par forcément hyper bien écrit. C'était pas le plus grand roman de SF que j'avais lu mais c'était en tout cas frais, malin, efficace et c'était un plaisir à lire.

"La Forêt Sombre" repose lui aussi essentiellement sur un concept. Enfin, plusieurs concepts : un gros qui traverse l'intégralité du roman et qui en englobe plusieurs autres de taille plus modeste. Cette fois, l'idée principale s'appelle "le projet Colmateur".


L'humanité sait que la flotte trisolarienne est en route pour la Terre. Et qu'elle n'est pas animée d'intentions pacifistes. Les intellectrons envoyés par les ennemis bloquent tout progrès scientifique majeur et la Terre doit donc se débrouiller comme elle peut pour échafauder une stratégie de défense. Elle désigne donc 4 personnalités, 4 personnages iconoclastes, intellectuels, scientifiques et politiques, capable de penser en dehors des sentiers battus et d'élaborer un plan. Toute la subtilité du projet étant que le plan de chacun doit rester secret, puisque l'ennemi possède des espions partout. Il faut donc cacher le plan dans un autre plan. Et la désignation de l'un des colmateur interpelle : Luo Ji n'est personne. C'est un quidam inconnu du grand public et lui même ne sait pas pourquoi il a été choisi. On refuse de lui expliquer. Luo Ji fera donc office en quelque sorte de personnage central. Il y en aura d'autres, notamment un autre, Zhang Behai, un soldat, qui aura son importance dans l'histoire mais son rôle sera plus limité et il disparaîtra avant la fin.


Mais Liu Cixin a toujours du mal avec la caractérisation de ses personnages et abuse des "concepts". Ainsi, en guise d'introduction aux personnages, on a droit à un long passage nous racontant comment Luo Ji est tombé amoureux d'une fille imaginaire qui est devenu bien réelle dans son esprit, fille dont il retrouvera le sosie parfait grace aux ressources mises à se disposition pour son travail de colmateur. Une histoire un peu longuette qui n'a pas grand intérêt dans l'intrigue principale du roman et qui ne constitue rien d'autre qu'une tentative (ratée) de la part de l'auteur de donner de l'épaisseur à son personnage. Mais on a surtout, comme souvent, l'impression que derrière il s'agit avant tout d'un énième concept, qui pourrait presque faire office de nouvelle indépendante, raccrochée de façon plus ou moins naturelle au reste du roman. Si on finit plus ou moins par s'attacher à lui par la force des choses (et grâce au retour de Shi Qiang, aka Da Shi, le flic que l'on suivait dans le premier tome), l'écriture des personnages est toujours laborieuse chez Liu Cixin et l'ensemble des personnages est globalement anecdotique.


La première moitié du roman présente donc les plans des 4 colmateurs et la contre attaque de l'ennemi : la désignation d'un fissureur pour chaque colmateur, dont la mission est de percer à jour le plan secret de chacun et de le contrer. Même si Liu Cixin tente de noyer le poisson, cette première partie (qui couvre en gros la moitié du roman) est assez balisée : chaque colmateur élabore son plan, chacun different dans son approche mais tous voués à l'échec. L'un imagine une flotte kamikaze, l'autre s'oriente vers une politique de la terre brûlée et le dernier invente une sorte de lavage de cerveau destiné à inculquer l'idée de victoire dans le coeur des militaires pour contrer le défaitisme. Pendant ce temps, Luo Ji se la coule douce avec sa femme et sa fille... jusqu'à ce que celles ci lui soient enlevé pour le forcer à prendre son rôle au sérieux. Il crée alors une malédiction qu'il lance vers les étoiles avant d'entrer en hibernation, touché par un mystérieux virus. La structure est très grossière : le plan tordu du Colmateur (plus ou moins caché) puis l'apparition d'un Fissureur et donc l'échec du Colmateur, d'une façon ou d'une autre.

Cette première partie se résume donc à une grosse question : quelles sont les solutions les plus grandiloquentes qu'on pourrait imaginer face à une future invasion extraterrestres? L'occasion pour l'auteur d'enchainer une série d'idées charmantes mais qui ne vont pas plus loin que ça. Et c'est bien là le souci, c'est presque le résumé du roman : des idées sympas mais qui ont du mal à constituer une continuité ou une vraie intrigue à proprement parler.


Puis on fait un bond d'un siècle et demi en avant. Luo Ji sort d'hibernation et découvre un monde bien différent. Et au départ, le charme de ce saut dans le futur agit. Il y a quelque chose d'assez frais, d'assez original dans ce monde sous-terrain organisé en arbres... et puis pour la première fois, on a l'impression que Liu Cixin se lâche, qu'il dévie de sa route toute tracée, on a l'impression de lire une vraie fiction de SF. Sauf que très vite, le naturel reprend le dessus et l'auteur retombe dans ses travers. Voilà que le roman s'organise à nouveau autour de micro concepts qui ne feront pas long feu. Luo Ji est victime d'une série d'accident qui se révèlent être les conséquences d'un virus informatique lancé avant son hibernation et ciblant uniquement sa personne. Cette fois encore, l'idée est sympa mais sa seule fonction est de faire retourner Luo Ji à la surface, dans l'ancien monde, moins technologique.

Puis on aura droit à la fin actée du programme colmateur : il en restait deux en vie et leurs projets se révèlent être des échecs. Le projet d'implantation de la victoire chez les troupes militaires se trouve être un mirage avec la trahison d'un proche qui aurait totalement dévoyé le projet et créé une sorte de cinquième colonne évasioniste : il y aurait possiblement au sein de la flotte des agents doubles auxquels on aurait implanté l'idée de la défaite et de la fuite. Finalement, après une enquête minutieuse, il s'avère qu'il n'y a aucun danger. Fin de l'idée.

Le projet de malédiction de Luo Ji n'a rien donné. Fin officielle du projet colmateur... enfin en apparence.


En attendant un rebondissement sur ce sujet, il faudra supporter une looooongue séquence de bataille spatiale contre une sonde qui n'en sera pas une. Bon, on l'avait vu venir de loin mais le problème, c'est vraiment que le passage s'éternise beaucoup trop et qu'à un moment, on a juste envie de passer à autre chose. La hard science étant surtout un catalogue de détails techniques indigeste, personne n'a envie de le supporter pendant 20 pages. En tout cas, pas moi. Nul doute qu'à l'écran, ça devrait en jeter mais sur papier, c'est chiant.

Le sort des survivants et la fuite du reste de la flotte sera suspendue encore une fois à un concept un peu philosophique et tout ça se terminera un peu en eau de boudin et finira par sombrer dans les abîmes de l'oubli : on n'y reviendra plus du reste du roman et on ne saura pas ce qu'il advient de ceux qui restent (mais il n'est pas impossible que Liu Cixin déterre cet élément pour le prochaine tôme).

Et puis, soudainement, on revient au projet colmateur qu'on pensait mort et enterré. En fait, l'idée de Luo Ji a fonctionné, sa malédiction lancé vers une étoile lointaine a détruit l'étoile. C'est à ce moment que le titre du roman prend enfin sens, dans une théorie très intelligente et passionnante qui se veut une réponse au Paradoxe de Fermi : l'espace est une forêt sombre. Sauf qu'on est déjà à la 700e page sur un roman qui en compte un tout petit peu plus de 730, autant dire quasiment à la fin.


Et le final semble vraiment rushé. Tout à coup, la résolution à la crise (pas plus conne qu'une autre) tombe comme un cheveux sur la soupe et donne une impression de facilité. Mais dans le même temps, Liu Cixin reste fidèle à lui même, anti-spectaculaire, plus scientifique que romancier. Ce second tome met d'ailleurs bien en lumière les défauts de son écriture, déjà présents dans le second tome mais planqué derrière le concept ludique de la réalité virtuelle. Ici malheureusement, il n'y a pas de concept aussi efficace et fatalement, la hard science de l'auteur se révèle plus lourde qu'autre chose.

DocteurBenway
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le 15 févr. 2024

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