Parmi les premiers ouvrages de Claude Michelet, il y a ce petit roman "la grande muraille" (1979) qui tiendrait presque de l'allégorie.

Pourtant, c'est un roman de terroir, il n'y a pas de doute, qui se déroule dans un causse de ce Haut-Quercy balayé par les vents et brûlé par le soleil. Firmin est un orphelin qui est recueilli par son oncle et sa tante. A la mort de l'oncle, le testament n'attribue à Firmin, par pure dérision si pas par méchanceté, qu'une seule chose : une terre appelée "le bois des roches" de 8000 m² qui comme son nom l'indique bien ne contient que des cailloux que des générations de paysans ont déversés là.

Sous le regard goguenard des autres villageois, Firmin examine quand même ce royal cadeau pour s'apercevoir que quelques arbres y poussent signifiant que sous les cailloux, il y a peut-être de la terre. Puis par amour-propre sûrement et par bravade certainement, il décide de se lancer dans le dépierrage du champ. Ce qui est au départ un pied de nez à tous qui le prennent pour un fou, devient un objectif, le but de sa vie. Il décide de construire une muraille de trois mètres de haut tout autour du champ et de faire du champ, un verger.

Bien sûr que c'est une entreprise démente, mais voilà un homme qui consacre sa vie à une tâche qu'il s'est assignée. Bien sûr qu'un mur de trois mètres de haut, de plusieurs mètres de largeur et de plus de cent mètres de longueur au milieu de nulle part n'a pas, a priori, beaucoup d'utilité mais on est ramené à la question de l'utilité d'une œuvre d'art ou de certains édifices architecturaux dont l'utilité probable du départ s'est perdue au cours de l'histoire. Encore, que cette muraille implantée judicieusement par Firmin amenait une ombre bienfaisante pour son verger en plein été…

Je ne sais plus où j'ai lu ou peut-être même repris à mon compte une phrase qui disait en substance que "quelqu'un qui n'a pas aimé n'a pas vécu". Eh bien, voilà un magnifique contrexemple où Firmin s'est consacré à un travail, s'est imposé un devoir en sacrifiant tout le reste (vie de famille, amour, considération des autres, etc ). A la fin de sa vie, sur son lit de mort, il s'interroge toutefois.

"Il revit toute sa vie, tout son immense travail et le jugea bête.

(Son meilleur et seul ami lui dit alors) : Firmin, n'aie pas de regret, ne regrette pas ton travail, tout est utile".

Giono, quelques années auparavant avait écrit un petit roman "l'homme qui plantait des arbres" où un berger, pauvre, semait soigneusement des glands sur un plateau désertique qui ne lui appartient pas en Haute Provence. Ces plantations devinrent ultérieurement une forêt de chênes. L'homme s'était aussi senti investi d'un devoir, d'une action absurde à ce moment-là.

Claude Michelet salue, ici, en Firmin, finalement cette race d'hommes, les bâtisseurs, qui s'attellent à une tâche plus ou moins absurde au moment où ils le font mais qui donne un sens à leur vie. Une façon de perpétuer l'action de l'homme sur la terre. Une tâche absurde à laquelle on se consacre, n'est-ce-pas aussi la définition d'une passion ?


JeanG55
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le 26 juil. 2022

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