Il n’y a jamais eu qu’un seul auteur pour moi qui ait su mélanger la poésie à la prose. Après Tolkien, il n’y a jamais eu personne qui ait pu insuffler à un roman une vie propre. Ce n’est plus vrai car après avoir refermé le livre d’Alain Damasio, les dernières pages sont encore imprimées dans mon esprit. Impossible d’étouffer l’énergie qui m’a portée jusqu’au bout pour lire d’une traite les 700 pages. La frénésie du contre est toujours là, accompagnée d’un vide et une envie d’aller plus loin, pour continuer d’accompagner les personnages et connaître leur devenir. La nostalgie vous prend à la fin du récit. En dehors du style littéraire et de l’originalité de l’œuvre, c’est la force de Damasio : immerger son lecteur au point que lorsque la quête se termine, celui-ci se retrouve face au même manque éprouvé par ses personnages, comme un Golgoth dépouillé qui chercherait à contrer au-delà de la ligne de contre, quand tout s’est arrêté. La quête finie, la question se pose à nous : que reste-t’il au-delà du dépassement de soi, quand tout est accompli ? Comment vivre, survivre et appréhender le monde lorsque l’ultime limite est dépassée ? Comment avant tout parvenir à ce bout du bout ? Que sont le sacrifice et l’abnégation ? L’ensemble du livre est porté par ces questions qui donnent un souffle magique à cette œuvre inclassable. Si vous n’avez pas lu La Horde du Contrevent, je vous conseille au moins d’essayer ; si vous arrivez à dépasser les 300 premières feuilles (c’est déjà pas mal…), vous ne pourrez pas faire autrement que de continuer jusqu’à la page 0. Avant quoi, il vous faudra vous familiariser avec le vocabulaire très particulier de Damasio, qui peut paraître indigeste et pourtant tellement immersif. Vous butterez sur de nombreuses descriptions et sur les dialogues croisés des personnages aux tempéraments si différents. L’œuvre est belle, on sent que le travail de préparation et d’écriture a été long et douloureux pour arriver à faire battre le cœur de tout cet univers. Le livre est habité, je ne peux pas dire mieux, car il m’habite encore, il transmet ce vif, cette passion de l’écriture et de la lecture, cette volonté de rêver et de rendre le monde plus merveilleux encore qu’il ne l’est. Oui, c’est un livre très difficile à lire. On s’y trouve projeté sans repères, hormis le marque page si vous l’avez. Donc attention à la démotivation, car Damasio nous parle comme si tous les concepts et l’environnement décrits nous étaient familiers. L’élocution de chaque protagoniste lui est propre, donc il n’y a pas de linéarité dans l’expression. Certains passages vous sembleront inutiles et bien trop longs ; pourtant ils vous feront traverser toute la géographie de ce monde soufflé par les vents jusqu’au twist final qui mérite de patienter pendant 700 pages. Plongez-vous dans cette œuvre mystérieuse. Pour ma part, je n’ai pas croisé depuis très longtemps un livre (et pas seulement un livre de SF) avec une force tragique et une poésie aussi profondément marquées.

Ko_Eun-Chan
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le 11 mars 2016

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