-Critique garantie sans spoil-


Hors normes. Unique. Complexe. Merveilleusement prenant. Les qualificatifs les plus élogieux sont de mise aujourd’hui. Préparez-vous à en recevoir plein la tête avec cette critique.


Que ce soit dit, « La Horde du Contrevent » ne ressemble à rien que vous avez lu ou que vous ne lirez jamais. Pour moi, la lecture de ce joli petit ouvrage a été un moment mémorable, une expérience inédite et, il faut le reconnaître, assez exaltante. En effet (et malheureusement), rares sont les œuvres qui vous transportent réellement, vous font vivre viscéralement les péripéties, les éléments et les sentiments des personnages. Et pourtant, nous gentils français affalés sur notre fauteuil, que pouvons-nous comprendre des furvents qui claquent, qui arrachent des êtres cabossés du sol rassurant ? Rien. Et pourtant on le vit. C’est la grande force des textes puissants, de chefs-d’œuvre. C’est la grande force de la littérature même.


Revenons-en aux sept-cents pages écrites par Alain Damasio. On sait que l’expérience de lecture sera unique à peine le livre entre les mains. Sans parler du texte même, des éléments ne trompent pas quant au caractère exceptionnel de l’œuvre. Voyez plutôt : le livre s’ouvre sur la page sept-cent, pour se conclure sur la page zéro. Fantaisie de l’auteur ou véritable message que ce compte à rebours ? Sept-cent pages pour se faire un avis, sept-cent pages de curiosité titillée pour une réponse on ne peut plus satisfaisante.


Autre singularité, et pas des moindres. À l’intérieur un marque-page reprend les noms et fonctions des vingt-deux membres de la Horde, chacun présenté par un symbole. Ce symbole, ce petit caractère de rien du tout deviendra au fur et à mesure de la lecture un repère, une indication du personnage donnant de la voix pour chaque paragraphe. Et si au début de la lecture la confirmation de l’identité du narrateur toutes les dix lignes se révèle laborieuse, on finit par assimiler rapidement les noms et fonctions de chaque membre de l’équipe, ou du moins les plus importants (le Gol, bien sûr, mais aussi Pietro, Sol et Oroshi). Au fil des pages, il n’est presque plus utile de consulter le symbole. On reconnaît également chaque personnage grâce à son langage, plus ou moins soigné. La personnalité de chacun est claire, bien définie. Moult détails techniques pour Sol, qui décrit beaucoup, de l’observation de terrain ou de l’état d’esprit de ses compagnons pour le Prince, poèmes et métaphores alambiquées pour Caracole, enchaînement de haine et d’injures pour Golgoth, sentiments et remises en question pour Aio, etc. Si certains ont trouvé cet aspect de l’histoire inutile, je n’en fait pas partie. C’est pour moi un élément essentiel de l’œuvre, ce qui fera que les vingt-deux paraîtront aussi humains les uns que les autres, que tous sont intéressants à suivre.


Le livre de Damasio contient des moments de grâce, des grands passages littéraires que je n’oublierais jamais, que ce soit du fait de la tension qui s’en dégage, de l’action au dénouement incertain, de la teneur des révélations, ou bien simplement et surtout de la façon dont l’auteur présente la chose. Entre autres : l’affrontement contre le premier furvent, lorsque l’on comprend qui est le véritable ennemi, le sommet glaçant de la Tour Fontaine, les révélations de la tour d’Aer et puis Krafla, bien sûr. Le plus hallucinant étant la bataille verbale que livre Caracole. Ce moment magique qui prouve toute la virtuosité de la plume de Damasio, ainsi que du même coup l’intelligence dont il a fait preuve en écrivant ses personnages et en imaginant ses intrigues. Tout simplement remarquable.



« Ô Sov, ô mon Golgoth ! Osons donc ! Proposons ! Fonçons ! Go !
Dosons long nos solos d’or blond, ponçons nos borts oblongs, rocs dont
sont forclos nos donjons ! »



« La Horde du Contrevent » est un grand roman d’aventure. C’est le genre de livre qui colle parfaitement à l’adage disant que dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte mais bien le chemin, comme l’avait déjà compris Tolkien avec sa grande saga en Terre du Milieu. Alors que nos héros pourraient simplement prendre un navire Fréole, qui les emmènerait gentiment vers l’Extrême-Amont, ils décident d’en baver, d’affronter avec force et solidarité les nombreux obstacles qui seront sur la route. Car les blessures du parcours font partie intégrante du voyage, qui est finalement autant un périple psychologique que physique. Car les nombreux hauts et les bas qu’ont vécu Golgoth et sa bande rendent l’œuvre et sa fin plus belles, plus intenses que tout ce qu’on aurait pu imaginer.


Horreur. Ravissement. Humour. Tendresse envers ces hommes et ces femmes cabossés par une destinée qu’ils n’ont pas choisie. « La Horde du Contrevent » provoque les sentiments, remue et restera ancré dans le cœur de la tourneuse de pages frénétique que je suis, que vous avez peut-être été aussi, ou que vous aurez envie d’être bientôt je l’espère. Tellement ancré en soi qu’à la fin du livre, on serait presque tentés de croire que le voyage, nous l’avons fait aussi, en tant que lecteur, mais aussi en tant que vingt-troisième membre muet de la trente-quatrième Horde du Contrevent.

mewnaru
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le 20 juil. 2016

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mewnaru

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