Contre la pensée-émoticône

Observatrice attentive des médias, Ingrid Riocreux cite et décrypte communiqués de presse, articles, reportages télévisés, actualités radiophoniques, avec l’œil du professeur sévère mais juste qui ne laisse rien passer, met en lumière les faiblesses du discours et dénonce les manipulations sous-jacentes. Proposant « un parcours analytique et critique qui va, grosso modo, de la grammaire à la rhétorique », elle consacre une partie importante de son essai à mettre en lumière l’incompétence langagière stupéfiante du journaliste moyen, expliquant que « c’est parce qu’il maîtrise mal sa langue qu’il ne l’aime pas, et que c’est parce qu’il ne l’aime pas qu’il ne voit pas d’inconvénient à parsemer son discours d’anglicismes ». Mais ces derniers ne sont que la partie la plus anecdotique du problème, la détérioration de la langue étant bien plus préoccupante : relâchement généralisé de la syntaxe, homogénéisation des tournures, maladresses de formulation, appauvrissement du lexique, voire même, dans les cas les plus graves, rupture pure et simple de la communication.

L’auteur reproche aux journalistes une « docilité proche de la connivence [acceptée] comme une éthique de la profession », rapportant sans cesse les mêmes informations avec les mêmes mots (« le syndrome AFP ») et réduisant leurs analyses à ce qu’elle appelle une « pensée-émoticône ». Les démonstrations se suivent, percutantes, égratignant les médias du système sans épargner pour autant la réinfosphère. « Le monde des médias est avant tout celui de l’entre-soi idéologique, qui s’appuie sur le rejet plus ou moins tacite de tel ou tel courant politique et la complaisance plus ou moins assumée envers certains mouvements de pensée et groupes de pression. On voit, dès lors, quelle parenté il peut entretenir avec le formatage médiatique des régimes autoritaires. » Un ouvrage indispensable pour tout lecteur soucieux de se constituer un arsenal critique performant avant d’ouvrir un journal ou d’allumer la télévision !