La réputation – déjà – naissante de ce roman est flatteuse. À la rigueur, trop flatteuse – ce qui ne signifie pas imméritée –, et l’« intention » que son auteur prête au livre d’« extirper de tes pires cauchemars quelque chose qui y est tapi et ne pourra plus jamais y être renfermé », peut-être trop ambitieuse. Mais incontestablement, c’est une œuvre littéraire au sens fort du terme ; il suffit pour en avoir la confirmation de penser qu’on ne pourrait pas lui ôter une phrase sans y perdre quelque chose, ce qui est généralement gage de qualité. Un autre gage de qualité étant que la question centrale du récit est celle du sens : « Votre tâche consiste à réaliser le puzzle le plus vite possible, même si vous n’avez pas d’image à laquelle vous référer. » (III.9b, p. 116).
Pour résumer : après le suicide, commis dans leur ancienne école, de celle qui fut sa seule amie d’enfance, et avec qui il partageait un goût du morbide et de la marginalité, le narrateur (?) cherche à recoller les morceaux, à moins qu’il s’agisse d’une dérisoire tentative d’empêcher le passé, ou d’un vague projet d’expiation mis en place par l’auteur (?), ou encore d’un pur jeu littéraire… « La Maison des épreuves est l’élément manquant de la nuit où Fiona s’est introduite dans l’école, et le fait que cet élément ait manqué alors ne diffère guère de l’absence d’un bien volé ou d’un vêtement dévoré par les mites. » (p. 28) L’« Introduction », destinée à mettre en place le contexte, est suivie de trois « Sections » ; s’il fallait faire un parallèle avec Dante, on les lirait moins comme des réécritures de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis que comme l’évocation de trois des cercles de l’Enfer…
« Vous serez notée sur la cruauté, la désinvolture et l’originalité d’expression. » (III.9a, p. 115)
Entre vrai / faux livre-dont-vous-êtes-le-héros sans renvoi et questionnaire psychologique conçu en vue d’un entretien d’embauche délirant par un recruteur encore plus névrosé que la moyenne, on aura donc compris que la Maison des épreuves exige une lecture scrupuleuse, à l’instar d’une autre maison dont elle est peut-être mitoyenne. Cette maison-là semble surtout agir comme un précipité de tout ce que la fiction d’horreur – dans un sens très large – a produit de folklorique entre la fin du XXe et du début du XXIe siècle : d’un côté l’Exorciste et Stephen King, mettons, et de l’autre Cube et Danielewski – on y revient. (Le livre m’a aussi fait penser à Brian Evenson, dans sa façon de mettre sous le nez du lecteur tout un tas de membres épars en lui disant implicitement que c’est à lui de reconstituer le cadavre, sachant qu’avec deux mains gauches et trois yeux ça donnera nécessairement quelque chose de monstrueux. Il faudrait d’ailleurs inclure la Maison des Épreuves dans l’une des constellations imaginaires du paragraphe 22 de la section I, dont feraient partie Evenson mais aussi Danielewski, Claro, les Éditions de l’Ogre, Vollmann, etc.)
Il ne faudra pas que je tarde trop à relire la Maison des Épreuves. Pour le plaisir, bien sûr, et à cet égard je doute qu’elle me déçoive – comme cela arrive à la relecture de certains livres enthousiasmants –, mais aussi parce que parmi les nombreuses pistes offertes par Jason Hrivnak, je me plais à imaginer qu’il y en ait au moins une de définitivement acceptable : récit-prétexte pour faire son deuil, incarnation maladive d’un roman psychologique, exploration d’un inconscient moins individuel que social, manifeste littéraire, (auto)biographie (fictive ou réelle) masquée, ou pur jeu dont il faudrait chercher « la boussole, le plan et la clé » (II.10, II.13) ailleurs que dans la littérature ? Peut-être un peu de tout cela.
En attendant, la dernière phrase du livre l’ordonne, « Discutez. »

Alcofribas
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le 19 janv. 2017

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