Ce livre m'est conseillé en 2022 par une personne schizophrène de ma connaissance, comme ayant été son plus grand flip littéraire.


J'acquiers donc le pavé de 1 kilo 220 plein de promesses et l'entame aussitôt. Commence alors pour moi l'expérience de lecture la plus longue (plus d'un an) et la plus fastidieuse.

Ces notes, ces putains de notes ! Ce narrateur Johnny (Hoss ?) Errand, horripilant ! Cette structure à tiroirs, ces pseudo extraits d'articles et d'essais sur un film qui n'existe pas, ces listes interminables de noms, à l'endroit, à l'envers, ces changements de typo, ces calligrammes...

J'entrelarde par d'autres lectures, mais le monolithe noir est là sur ma table de nuit, qui m'attend tous les soirs.

De temps à autre, je me laisse complètement absorber : ce sont les passages où Zampanò le vieil aveugle décédé décrit le "Navidson Record", film et rushes sur la Maison de la famille Navidson, dans laquelle se crée un "couloir de cinq minutes et demie" obscur, froid et bourré de grondements sourds. Un couloir dont la dimension mouvante semble plus temporelle que spatiale, sorte de centre organique de la maison, dont l'exploration nécessite tout un attirail.


Si je mets 9/10 à la Maison des Feuilles, c'est pour le Navidson Record, et aussi... pour les Lettres de Pelafina à la fin du livre.

Car ces lettres, en plus d'être absolument passionnantes et incroyablement bien écrites, donnent à mon sens, un éclairage particulier à l'ouvrage tout entier :

On savait par les extraits de son journal que Johnny "Hoss" Errand, le narrateur, était addict à un certain nombre de drogues et sujet à des hallucinations. Mais la plume de Pelafina, mère complètement folle de Johnny, décrit en creux la détresse et la folie d'Errand lui-même. Comment être sain d'esprit quand on a subi de sa propre mère des violences dont une tentative d'étranglement, qu'on a perdu son père quelques années après et qu'on a été ballotté dans des familles d'accueil qui n'en n'ont que le nom.

L'abracadabrante histoire de Zampanò et de son manuscrit apparaît alors comme un puissant délire du narrateur, de même que les récits de ses innombrables conquêtes féminines ; et les interminables listes, articles et notes comme des symptômes de sa psychose maniaque.

La citation de Jung (p.652) est - selon moi - également un indice montrant que la Maison des Feuilles (que l'on peut brûler comme on perd la mémoire) ainsi que son inquiétant et labyrinthique couloir pouvant contenir un espace infini, dans lequel on peut disparaître à jamais, sont en réalité une représentation de la propre pensée d'Errand, et des circonvolutions de son cerveau malade.

« Nous devons décrire et expliquer un immeuble dont l’étage supérieur a été érigé au dix-neuvième siècle ; le rez-de-chaussée date du seizième siècle, et un examen attentif de la maçonnerie révèle qu’il a été reconstruit à partir à partir d’une tour d’habitation du onzième siècle. Dans le cellier, nous découvrons des murs de fondation romains, et sous le cellier une cave remplie, dans le sol de laquelle on trouve des outils de pierre et des restes de faune glaciaire dans les couches inférieures. Ce pourrait être une sorte d'image de notre structure mentale. » C. G. Jung




RubberChicken
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le 31 mars 2024

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