Les troupes de la Reine-Araignée dépassaient les limites de l'arrogance. De très loin. Elles étaient au-delà du blâme. Autant reprocher à une vache de manger de l'herbe. La vache lèverait avec raison vers vous ses yeux rêveurs comme pour demander « N'est-ce pas ce que j'étais censée faire ? ».
Le paysage était luisant, imprégné d'un halo romantique, tous les contours voilés, réduits à des essences comme dans un très ancien souvenir. Elle ouvrit la fenêtre. Un air froid et humide lui souffla au visage, drapant des réminiscences autour d'elle comme on enfile un vêtement familier.
Une Honorée Matriarche en robe verte attendait sur une chaise fragile à l'endroit où le corridor débouchait dans le vestibule. Sa figure était bâtie comme une muraille de château antique : pierre sur pierre. Sa bouche ressemblait à une écluse par où elle était présentement en train d'absorber, à l'aide d'une paille transparente, un liquide pourpre que l'on voyait monter par à-coups. Le liquide avait une odeur sucrée. Les yeux de la fille étaient des canons pointés par-dessus les remparts. Son nez, un plan incliné par où se déversait la haine de son regard. Le menton était faible. Comme en surplus. Une adjonction, ou plutôt un vestige d'une construction plus ancienne. On y voyait l'enfant qu'elle avait été. Et quant à ses cheveux, ils avaient été artificiellement foncés pour ressembler à un pâté brun de boue séchée. Sans importance, les cheveux. Ce qui comptait, c'était les yeux, le nez et la bouche.
Traduction par Guy Abadia.