Elsa Dorlin est professeure de philosophie politique et sociale à Paris VIII. Ses recherches portent principalement sur l’histoire du sexisme et du racisme moderne. Elle aborde de nombreux sujets traitant du corps et de l’épistémologie de la domination. L’ouvrage présenté ici est La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, sa seconde édition datant de 2009 et éditée chez La Découverte. Long de 300 pages, il entend ainsi expliquer et analyser comment le sexe et la race obéissent à des logiques similaires tout au long de l’histoire de la construction de la Nation française. Pour cela, Elsa Dorlin se repose sur la philosophie et l’histoire mais également sur la médecine et les études du genre.


L’ouvrage se décompose en deux parties : le sexe et la race. La première partie remonte ainsi jusqu’à l’Antiquité pour revenir rapidement à l’époque moderne où débute le cœur de sa démonstration. La première notion ainsi expliquée est l’idée de tempérament du sexe et comment l’utérus féminin a longtemps été considéré comme vecteur de maladie. La femme est ainsi par définition malade, justifiant de nombreuses formes de domination par l’Homme et la Nation. Les différentes formes d’hystéries sont amplement commentées et expliquées permettant une compréhension fine des différences.


le corps féminin est un corps malade et tout corps malade est par définition un corps efféminé – p.25


La conception d’une femme par nature malade est notamment permise par la médecine des humeurs à la base de toute la science médicale des scientifiques de la période moderne. Le passage à la médecine des fibres permet un renouvellement des études mais place encore la femme dans une position de soumission. Il est très bien démontré que ce changement de paradigme médical est également motivé par une critique sociale dirigée vers la noblesse aux fibres bien trop molles par rapport aux travailleurs. L’ouvrage nous présente ainsi comment la femme du peuple, la travailleuse ou la mère ont gagné en prestige et reconnaissance dans la société française.


Elsa Dorlin met également dans cette première partie en lumière les catégories de la population qui sont femmes mais sans l’être totalement : les prostituées ou les Africaines. Elles se situent dans un entre-deux, leur nature ou leur occupation les virilisant mais jamais totalement. Au contraire, la féminisation de certains hommes comme les Africains renforce une catégorisation de l’entre-deux. Ce sont des « corps mutants ». Ces réflexions se reposent ainsi déjà en partie sur la notion de race.


Les prostituées, les femmes voluptueuses, ou celles qui recherchent trop souvent le commerce charnel et échauffent leur semence comme celle de leur partenaire constituent, pour la pensée médicale dominante, une classe physiopathologique monstrueuse mais nécessaire pour justifier une division du travail sexuel – p.65


La seconde partie nous explique comment la division de l’humanité en plusieurs races par les Européens se base sur la médecine et l’étude des tempéraments médicaux : chaque race possède un tempérament différent influant sur son comportement, son esprit et ses compétences physiques. Ce discours justifie ainsi les entreprises coloniales des Européens. Les Blancs, symboles du « Beau » universel reconnu par toutes les races, s’efforcent ainsi de dominer des races inférieures qui ont besoin d’aide. Cette logique raciale permet également de justifier l’exploitation sexuelle des femmes colonisées.


les discours naturalistes ont justifié l’exploitation sexuelle des femmes […] en considérant les femmes noires ou indiennes comme des femmes sexuellement insatiables, ils jugeaient les hommes incapables de satisfaire sexuellement leurs propres campagnes, voire heureux de les céder aux étrangers – p.220


Cette thèse largement reconnue est ainsi cette fois étudiée sous l’angle médical et du discours des colonisateurs à mettre en relation avec les évolutions de la Nation et de ses législations. L’existence de mulâtres a posé de nombreux problèmes et mis en échec le Code Noir mais a finalement permis aux Français de faire d’eux des individus honnis par tous mais servant l’ordre colonial en chassant les fuyards Noirs au profit des exploiteurs Blancs.


En conclusion, les deux parties m’ont semblé trop inégales aussi bien en termes de longueur que de profondeur. Il est à mon sens dommage d’avoir ainsi séparé en deux parties aussi différenciées les développements sur le sexe et la race tant Elsa Dorlin fait remarquer dans tout son développement que ces deux thèmes ont toujours été liés par les mêmes liens médicaux et sociaux. L’ouvrage est toutefois très clair et érudit, permettant une compréhension fine des enjeux de ce sujet et mettant en lumière des notions souvent intégrées mais qui n’ont pas nécessairement été réfléchies par le lecteur peu savant sur le sujet. La démonstration d’Elsa Dorlin est pertinente et offre un regard complet et exhaustif en réussissant à étudier une période longue en ne perdant jamais son sujet initial.

ThePococurante
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le 4 août 2017

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