Je suis sortie de la lecture de La ménagerie de verre dans un état d'esprit assez positif mais je suis devenue un peu plus tiède les jours passant. Peut-être est-ce dû au fait que j’avais été très impressionnée par certaines de ses pièces les plus célèbres lorsque j'étais jeune et que celle-ci ne me paraît pas dégager tout à fait autant de force ; peut-être aussi qu'avec l'âge, le théâtre de Tennessee Williams me convient moins bien.


On croit souvent à tort, me semble-t-il, que La ménagerie de verre est la première pièce de Tennessee Williams. Ce n'est pas le cas. Je n'ai pas fait le compte exact, mais ça doit être quelque chose comme la huitième ou la neuvième. En revanche, c'est bien sa première pièce à succès, et c'est probablement celle qui est la plus ouvertement autobiographique. Elle est centrée sur un seul lieu (un appartement) et trois personnages : Tom, Laura, et leur mère Amanda. Tom travaille dans une fabrique de chaussures, mais ne supporte pas l'univers étriqué dans lequel il vit, rêve de voyages et écrit des poèmes. Laura, sa sœur, souffre d'un boitement et, surtout, d'une timidité maladive qui la rend inapte à toute vie sociale. Contrairement à son frère, elle semble s'être résignée à son sort et ne vit guère que pour sa collection de petits animaux en verre (d'où le le titre de la pièce). Amanda, que son mari a quitté il y a déjà bien des années, est sans cesse inquiète pour son avenir et celui de Laura. Elle a pour obsession de lui trouver des prétendants et de la marier - ce qui paraît un projet vraiment très optimiste, vu les circonstances. Elle passe beaucoup de temps à ressasser le passé et à titiller ses enfants, et si les trois personnages, vivant constamment ensemble dans un petit appartement de Saint Louis, sont très proches les uns des autres, leurs relations sont difficiles. Va survenir un quatrième personnage, Jim, collègue de Tom, qu'il a connu, ainsi que Laura, à l'école. Il est invité pour un dîner à l’appartement familial. Amanda voit naturellement en lui le prétendant tant attendu. Or, il se trouve que Laura garde un souvenir de lui qui relève du fantasme amoureux. Le revoir va réveiller en elle des émotions particulièrement fortes.


D'une part, c'est une pièce que j'ai trouvée touchante parce qu'elle est construite autour de Laura, si fragile, si différente des autres, et qui ne peut pas répondre à ce que la société attend d'elle. Son personnage reste pourtant presque en marge et n'est pleinement développé que dans la septième et dernière scène. Amanda et Tom, qui m'ont semblé moins intéressants, occupent le devant de la scène le reste du temps, c'est-à-dire pendant une grande partie de la pièce, ce qui m'a quelque peu donné l'impression d'une très longue scène d'exposition. Mais j'ai eu d'autre part la sensation que le côté autobiographique de la pièce était à la fois revendiqué et pas toujours forcément bien assumé. Difficile de ne pas reconnaître la famille de Tennessee Williams - à condition, bien sûr, de connaître un peu sa biographie - dans les trois personnages principaux, d'autant que si les prénoms de Laura et Amanda sont fictifs, le prénom Thomas est bien celui de l'auteur, et que Laura est surnommée Rose Bleue (or le prénom de la sœur de Tennessee Williams était Rose). Le tragique de la véritable histoire familiale a été très atténué : Rose, atteinte d'une maladie mentale, a été lobotomisée sur décision de ses parents. Dans La ménagerie de verre, Amanda, si elle se montre carrément pénible avec ses enfants, n'est pas un personnage complètement nocif et négatif. Et le destin de Laura reste ouvert, même si l'on imagine qu'il n'y a guère de possibilité d'un avenir lumineux pour elle - elle semble d'ailleurs, en donnant sa licorne en verre à Jim, renoncer désormais à tout espoir. La violence qui deviendra l'une des caractéristiques du théâtre de Tennessee Williams est certes présente, mais très contenue. Peut-être trop contenue. Quant au symbole de la petite licorne en verre dont la corne va être brisée, il fonctionne à deux niveaux : l'allusion très directe à la lobotomie de Rose - qui ne peut être comprise, là encore, que si l'on a connaissance de la biographie de Tennessee Williams - masque presque totalement, au moins dans un premier temps, d'autres interprétations possibles, que je trouve plus intéressantes.


Un mot sur les didascalies et la construction de la pièce. On trouve de longues et nombreuses didascalies dans La ménagerie de verre, qui donnent beaucoup d'indications sur l'interprétation de la pièce, son aspect symbolique, la psychologie des personnages et la scénographie. Tennessee Williams, dans sa volonté de mettre en scène un drame qui est déroulé dans la mémoire d'un de ses personnages et passé au crible de cette même mémoire, a donc imaginé des rideaux servant de filtres, ainsi qu'introduit l'utilisation d'images et d'intertitres à projeter sur écran. Il a créé Tom, personnage qui possède aussi la fonction de narrateur et s'adresse directement au public. Il y a là, et notamment dans ce qui concerne les images et intertitres, un aspect novateur, qui m'a pourtant paru redondant et un peu artificiel, voire lourd. Je trouve aussi que Tennessee Williams donne un peu trop de détails dans ses didascalies, ce qui peut entraver, me semble-t-il, la créativité d'un metteur en scène.


Une jolie pièce, donc, malgré les quelques réserves que j'ai pu émettre ici, notamment l'aspect autobiographique dont l'auteur a du mal à se dégager.

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