SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

La Mezzanine
7.7
La Mezzanine

livre de Nicholson Baker (1988)

De la note ne bas de page comme genre littéraire.

Coller un 8 dur 10 à ce livre, de même qu'aux frères Karamazov, qu'est-ce que cela signifie? C'est comme noter sur 20 un devoir d'agrégation, de même que la rédaction d'un enfant de CE2. Donc, je précise, ce livre n'est pas comparable à un roman de Dostoievski.
Il s'agit en effet d'un genre particulier. Il n'y a pas vraiment d'histoire, c'est une suite d'observations, d'analyses, de réflexions. c'est très, très précis et très drôle. On pourrait dire, comme Zazie: "tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire". Certes Queneau aurait peut-être aimé, et s'il y avait un OULIPO étasunien, Nicholson Baker y aurait toute sa place.
Le livre commence par une histoire de lacets. C'est une découverte obsessionnelle du héros (héros?). Une grande partie du livre tourne autour de ça, les lacets, la façon de les faire et, surtout leur usure (pourquoi et comment). Quand vous cassez un lacet, vous ne faites pas de théorie sur le sujet: vous le remplacez. Oui, mais vous n'êtes pas Baker.
Un autre centre d'intérêt fort de l'auteur, ce sont les escalators. Qui ne sont pas d'ailleurs sans rapport avec les lacets, vous verrez.
Ainsi Nicholson Baker évoque un grand nombre de questions, a priori futiles, mais sur lesquelles il entend réfléchir, analyser, théoriser, avec force précisions, références, détails. Et c'est là que je le trouve excellent,j'allais dire génial, mais ce terme est tellement galvaudé.
Et puis, le fin du fin, ce sont les fameuses notes en fin de page. C'est parfois embêtant, les notes en fin de page, ça casse le rythme de la lecture, surtout quand c'est sur plusieurs pages, il faut revenir en arrière, parfois relire ce qu'on avait lu pour se remettre dans le coup. mais là, on s'en régale. Surtout que cela s'accompagne bien souvent de savantes digressions. J'adore les digressions. Page 173 (édition 10/18), une note de plus de 2 pages part de Spinoza qui tue des mouches par plaisir et de là on passe à Hobbes qui attrapait des oiseaux avec du ruban adhésif, à Wiitgenstein qui adorait les Westerns... et à Milton, qui d'après Adam Smith, portait des souliers à lacets et non à boucle. Et nous y revoilà, la boucle est bouclée, et ce n'est jamais lassant!
La plus longue note, page 94 totalise 5 pages 1/2! Et écrit petit, bien sûr. Elle commence par cette affirmation: "les escalators sont sûrs". Ceci grâce aux rainures, qui empêchent les déraillements. Les rainures, ça fait penser aux sillons, ceux que le patineur fait sur la glace et les sillons des disques. En passant, une petite remarque sur les bras de nettoyage qui tournent plus vite que le lecteur, à comparer avec la rampe de l'escalator qui va moins vite que les marches (environ 30 cm de décalage par montée, d'après notre observateur).
Dans le genre, et j'aime ce genre, c'est pourquoi j'adore Perec, ce livre est excellent. De plus il est à conseiller si vous êtes un peu déprimé ou paresseux: rien de tel que le futile analysé avec minutie pour vous montrer que finalement, il ne faut pas toujours prendre la vie au sérieux.
Alain_Dutot
8
Écrit par

Créée

le 22 juin 2014

Critique lue 464 fois

Alain Dutot

Écrit par

Critique lue 464 fois

4
1

D'autres avis sur La Mezzanine

La Mezzanine

La Mezzanine

le 22 juin 2014

De la note ne bas de page comme genre littéraire.

Coller un 8 dur 10 à ce livre, de même qu'aux frères Karamazov, qu'est-ce que cela signifie? C'est comme noter sur 20 un devoir d'agrégation, de même que la rédaction d'un enfant de CE2. Donc, je...

La Mezzanine

La Mezzanine

le 11 nov. 2018

Le pan de ma chemise qui dépassait

La mezzanine est un objet assez curieux. Unité de lieu et de temps pour la trame principale : le narrateur va acheter des lacets sur sa pause déjeuner. Le tout saupoudré de réflexions fondamentales...

La Mezzanine

La Mezzanine

le 27 juin 2010

Critique de La Mezzanine par ylebout

La modernité de ce roman, qui étudie avec minutie les petits événements, les petites réflexions de tous les jours pour faire ressortir la vacuité de l'existence, reste malheureusement très âpre pour...

Du même critique

Mercy, Mary, Patty

Mercy, Mary, Patty

le 26 août 2017

Lavage de cerveau.

J'avais beaucoup aimé le dernier livre de Lola Lafon: "la petite communiste qui ne souriait jamais", roman inspiré de l'histoire de la gymnaste prodige Nadia Comaneci. J'ai aussi beaucoup aimé le...

La Solitude du coureur de fond

La Solitude du coureur de fond

le 27 août 2017

Payer, oui. Ployer, non.

Smith, interné pour braquage dans un centre de rétention, est rétif à toute autorité. Hors-la-loi, il est résolument contre les "pour-la-loi". Le directeur de l'établissement, se targuant de...

La Mémoire des vaincus

La Mémoire des vaincus

le 28 oct. 2014

Un grand récit historique et romanesque.

Michel Ragon n'est pas un écrivain médiatique. Petit homme vieux, fidèle à ses idées et à ses amitiés, c'est avant tout un écrivain autodidacte, chantre de la littérature ouvrière et de l'anarchisme...