La Modification
6.8
La Modification

livre de Michel Butor (1957)


Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre
épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau
coulissant.



Si vous avez lu ce livre, c'était dans un premier temps pour pouvoir dire que vous avez lu une œuvre faisant partie du mouvement littéraire prétentieusement appelé "Nouveau roman". Mais avouez aussi que vous vouliez descendre ce dernier, tout en donnant un avis cinglant sur le livre dont vous êtes en train d'écrire la critique. Ben oui, c'est dans la nature des gens d'aimer dire du mal de certaines choses, de certaines personnes. Vous n'êtes pas l'exception à la règle. Mais vous vous êtes rendu compte que vous avez aimé le roman beaucoup plus que vous ne l'auriez pensé. Pourtant, être plongé dans les pensées et les moindres gestes d'un type dans le compartiment d'un Paris-Rome, c'était la promesse d'un livre profondément chiant.


Vous lui en voulez un peu à Michel Butor d'être un grand écrivain. Vous vouliez le coincer sur ses phrases interminables, les qualifier d’esbroufes d'un type qui se prend pour Proust tout en poussant un ricanement de petit homme satisfait de sa remarque cinglante à deux balles comme si c'était le comble de l'originalité critique, mais non, on ne s'en rend même plus compte, cela devient naturel de voir et lire des phrases longues, cela coule de source, collant parfaitement avec le sujet... Vous vouliez le qualifier, du moins, d'auteur ennuyeux, mais non, vous vous êtes très vite pris au jeu. Vous vouliez, dans le pire des cas pour vous, reconnaître un certain talent de styliste au monsieur, mais pas de véritable influence sur l'esprit du lecteur. Ce serait vous mentir à vous-même, ne pas reconnaître que vous aussi, lors de vos trajets en bus, vous ne vous êtes pas attaché à décrire dans le détail le moindre objet, chacun des autres passagers, chacune de vos propres pensées. Votre manière d'être a été influencée, que vous le vouliez ou non.


Pour vous consoler, vous auriez voulu dire, ne voulant pas reconnaître totalement votre défaite, que Butor n'est pas un fin psychologue, que l'ensemble ne va pas plus loin que le style et un changement de regard du lecteur, comme si tout cela n'était que des minces exploits par eux-mêmes. Mais vous n'avez pas pu vous empêcher de vous identifier à ce protagoniste veule, croyant posséder un caractère plus ferme qu'il ne l'est en réalité, croyant que prendre un billet de train Paris-Rome est le comble de l'audace, que vous pouvez tout dominer rien que par la force de votre volonté, alors que c'est tout qui vous domine, vous soumet, si humain que vous ne pouvez que reconnaître qu'il pourrait être vous. Oui, son évolution psychologique est entièrement crédible, elle pourrait être la vôtre.


Vous essayez de vous consoler du mieux que vous pouvez. Vous vous dites que vous allez vous rabattre sur Alain Robbe-Grillet. Il a quelque chose qui ne vous revient pas chez lui, peut-être ses pensées à la con sur lesquelles vous avez dû écrire un trop grand nombre de dissertations. Quant à Michel Butor (en plus, vous n'avez pas pu vous empêcher de ressentir de la sympathie pour lui en regardant certaines de ses interviews télévisées sur Internet !), vous l'avez déjà mis dans votre liste d'auteurs à continuer de creuser avec plaisir, car vous l'avez adopté.

Plume231
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le 17 déc. 2019

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