Dès son énoncé, la théorie littéraire de Zola, du Roman expérimental et du réalisme naturaliste, ne semblait pas laisser grande place à la spontanéité, et annonçait à bien des égards des récits rigidifiés dans la forme d’études plus ou moins scientifiques. Concentrée surtout sur l’observation des "milieux" et de leur influence sur la physiologie de personnages érigés en véritables bancs d’essais, elle prétendait écarter de son champ d’exploration les inflexions confuses de l’âme humaine. Mais il est arrivé à plusieurs reprises que la consigne craque sous les exigences des sujets abordés : Zola lui-même, alors qu’il tâchait d’observer ses propres hantises, fut l’un de ceux qui fêlèrent le vase clos de la théorie naturaliste, pour y faire entrer une lumière qui en éclairerait les manques et y introduiraient une vigueur nouvelle.


La Mort d’Olivier Bécaille est le fruit de cette expérience douloureuse. Dans la veine des nouvelles qui explorent, au sein d’une intrigue contractée, des caractères obsessionnels, elle constitue un certain aboutissement : autour d’Olivier Bécaille, victime d’une syncope prolongée – sorte de coma où la conscience du malade n’est plus que partiellement active, et son corps plongé dans une profonde léthargie faisant croire au décès – l’environnement et les personnages disparaissent, réduits à un faisceau restreint de sensations vagues. Absent du monde actif, Bécaille subit sa propre veillée mortuaire, son propre cortège funéraire, et enfin son propre ensevelissement, qui précède un brusque réveil… sous terre.
La monomanie de Bécaille réside en un retour perpétuel d’une même idée, qui préexistait déjà à l’accident et qui n’en est qu’une manifestation physique suraiguë : son imagination se porte sans cesse sur la mort ou sur la peur du néant, de la fin de son être. Ici paraissent des obsessions de l’auteur, victime de claustrophobie, et de crises nerveuses depuis la mort de son père, lors de son enfance – il paraîtrait même que Zola ne pouvait s’allonger dans son lit sans croire glisser dans son dernier sommeil.


Si les formes sont conservées (les descriptions restent très chargées, chiffrées, garnies de détails significatifs qui ne permettent pas de lire cette nouvelle en faisant abstraction du milieu dans lequel Bécaille évolue), l’irrationnel et l’incohérent – essences s’il en est de l’âme humaine – s’infiltrent dans le récit. Ce brouillage du réel donne d’ailleurs lieu aux pages les plus saisissantes que j’ai jusqu’ici lu de Zola : se réveillant inhumé, Bécaille, pris de panique, se débat dans son cercueil et est pris d’un délire qui le fait entremêler ses sensations au cauchemar d’un accident de train dans un tunnel qui se serait éboulé. Le passage est véritablement glaçant.
Ses obsessions rattrapent l’auteur, qui n’en peut plus mesurer les causes matérielles. Sa réalité entièrement vécue dépasse le spectre de l’observable dans la méthode naturaliste, et le fantastique fait son immersion dans la nouvelle. L’inconnu de la mort se double du spectaculaire de la catastrophe naturelle, et toutes ses psychoses se cristallisent dans les souffrances physiques de Bécaille. La description de la transe anxieuse est brillante, recréant les sensations de l’enfermement et de l’étouffement qui surviennent alors que la chair de Bécaille revient à la vie, que son âme rejoint un corps maladif et sensible.
Mais c’est dans cette folie que Bécaille trouve une nouvelle vérité : d’abord la flamme pour raviver son corps, puis la lame pour trancher ses entraves obsessionnelles. Il retrouve le calme par un crochet hors du réel, qui, il est vrai, le rayera du monde des vivants et l’ostracisera à tout jamais. C’est ce même crochet que fait Zola au-delà des limites qu’il avait fixé à sa propre imagination, craignant de s’égarer dans le néant, du moins l’inconnu, qui s’étendait au-delà.


Dans La mort d’Olivier Bécaille, la recherche naturaliste du comment ? des choses ne suffit plus ; l’angoisse a poussé un grand cri métaphysique : « pourquoi ? ».

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le 22 août 2018

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