Le recueil de nouvelles posthume est composé de : "La Muraille de Chine", "Description d'un combat", "Contemplations", "Le chasseur Gracchus", "Le vieux garçon", "Recherches d'un chien" et de nombreux textes souvent très courts.
Kafka n'a publié que deux fragments de "La Muraille de Chine" : "Un vieux parchemin" et "Un message impérial". Il n'y est pas question de Muraille ! Cette nouvelle est une reconstitution d'Alexandre Vialatte, qui a réuni les fragments "chinois" de son oeuvre. Ils ne forment pas une trame continue - à l'image de la Muraille édifiée par tronçons souvent discontinus.
Selon le narrateur, on n'a pas construit la Muraille de Chine pour se protéger des Nomades du nord : "Le Conseil des Chefs existait de toute éternité, de même aussi la décision de construire la Muraille. Innocentes peuplades du Nord qui en croyaient être la raison ! Innocent Empereur, vénéré soit-il ! qui en croyait avoir donné l'ordre ! Nous autres, gens de la Grande Muraille, nous en savons plus long et nous nous taisons…"
En effet la mort de l'Empereur rend ses projets caduques. Un message dicté sur son lit de mort ne parviendra pas à son destinataire (l'Empereur meurt avant que le messager ne quitte le Palais…) Son successeur n'assumera ni ce message, ni certaines décisions politiques du défunt. La continuité n'est que partielle d'empereur à empereur et de dynastie en dynastie.
Eriger la Grande Muraille est un projet métaphysique avec l'Empire du Milieu comme Paradis où les seuls Chinois jouiront de la Civilisation. Et les Nomades du nord et de l'ouest devront chevaucher dans les ténèbres extérieures jusqu'à la fin des Temps. D'ailleurs ils auront disparu de la surface de la terre avant l'hypothétique achèvement de la Muraille...
Cette promesse édénique explique l'ardeur des ouvriers, accueillis en héros dans leur pays natal après avoir bâtis en cinq ans à des milliers de kilomètres de chez eux un tronçon de 500 mètres. Mais la Muraille reste inachevée comme l'organisation politique du pays : "Le peuple ignore tout des lois ; elles sont le secret du petit groupe des Nobles qui gouvernent." Ainsi le peuple se lamente : "Quel supplice que d'être gouverné par des Lois qu'on ne connaît pas !"
Tronçons de la Muraille et fragments de la nouvelle sont aussi discontinus que la vie créatrice de Franz Kafka. Quand la fièvre d'écrire l'emporte (en 1914, 1917 ou 1922), sa muraille textuelle s'élève en nombreux tronçons isolés (textes abandonnés) ou en rares continuums (textes achevés). Quand la stérilité s'impose (en 1913, 1918 ou 1921), Franz est pris de vertige face au vide béant entre les tronçons de son mur d'écritures. Un constat le déprime : il n'en viendra jamais à bout… La nuit le Juif pragois germanisé rêve de pogroms et d'autodafés.
"Pékin reste plus étranger encore que l'Au-delà lui-même !" constate le narrateur. Même si les Chinois sont les Elus dont l'Empereur habite le Ciel. La Muraille est fragmentaire parce que l'homme est inachevé. Dans le temps, l'homme ne réalise que des tronçons. Il faudrait l'éternité pour terminer la Grande Muraille. Ainsi elle reste incomplète comme reste inachevé le récit de Kafka. L'oeuvre de Kafka est une Muraille inachevée, un rêve éternel inachevable.