Tandis que nos sociétés sont envahies d’une activité frénétique qui ne s’interrompt jamais, que la performance, le travail et une vie sans pause sont présentés comme des valeurs estimables ou des idéaux, que chaque minute de notre temps devrait être utilisée à produire et surtout à consommer, comme le souligne Jonathan Crary dans son essai foisonnant «24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil», tandis que le travail est de plus en plus inégalement réparti et surtout rétribué, faire l’éloge de l’inactivité et de l’abandon à la paresse semble chose nécessaire.
Cet éloge de la paresse semblera un retournement surprenant pour certains, tant elle est décriée et depuis si longtemps. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les synonymes du mot paresseux dans le dictionnaire : apathique, cossard, tire-au-flanc, mou, fainéant, inerte, etc.
Les éditions du Sonneur ont donc eu l’excellente idée de rééditer en 2013 «La paresse», un court texte de Joseph Kessel, initialement publié en 1929 dans les Sept péchés capitaux, qui réunissait les contributions de sept auteurs.
Joseph Kessel souligne avec humour que c’est un supplice comique et raffiné que de devoir s’asseoir à sa table de travail et noircir du papier pour «dénombrer avec conviction les charmes, les bienfaits et la grandeur de ne rien faire».
«Mère de tous les vices ! On osa la baptiser ainsi. Encore faudrait-il établir que ce surnom est un blâme et non le plus magnifique éloge. Car, enfin, que ferions-nous, malheureux, sans ces quelques misérables vices, en nombre si réduit, et de si maigre variété, dont notre imagination défaillante n'a jamais su élargir ni creuser les frontières ?
Mais la question n'est pas là. Même, en nous tenant au point de vue moral, comment ne pas s'indigner d'une fausseté si criante. Comment ne pas reconnaître dans la paresse la mère gigogne de toutes les vertus : de l'abstinence, du désintéressement, de la réflexion, de l'humilité ? N'est-ce pas l'activité au contraire, dévorante et superbe, qui, pour essayer de satisfaire ses appétits insatiables, risque d'entraîner aux pires extrémités ?»
Dès 1890, Paul Lafargue s’insurgeait contre l’épuisement des ouvriers et la sacralisation du travail, et plaidait pour le droit à la paresse, un texte beaucoup plus politique, dans lequel il faut également se replonger. Au moment de l’armistice de 1918, Joseph Kessel, l’aventurier, nous entraîne, lui, dans un bref tour du monde de la paresse, ou de l’incapacité de certains à s’y abandonner, entre Vladivostok, Hawaï, Pékin et San Francisco, la définissant poétiquement ainsi «le véritable et seul loisir où tout l’être se condense et se diffuse à la fois.»
A la pointe de la nuit et de la mélancolie, je dois m’arrêter ici, pour m’abandonner à mon tour aux délices de l’oisiveté.
Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/11/18/note-de-lecture-la-paresse-joseph-kessel/
Pour acheter ce livre chez Charybde, sur place ou par correspondance, c'est par là :
http://www.charybde.fr/