J'écris aujourd'hui ma première critique de livre. Espérons que je sois convainquant.


Que se serait-il passé si Hitler avait été reçu à l’académie des Beaux arts? Si ce jeune homme plein de rêves et d'ambitions ne s'était jamais tourné vers la politique? C'est cette question épineuse que nous pose l'auteur dans cet ouvrage à travers deux cheminements qui se développent en parallèles. Le développement de Hitler historique reconstitué part l'auteur, l'amenant petit à petit vers l'homme d'état que nous connaissons tous. Et celui de Adolf H, le peintre qui vivra de sa passion, personnage inventé de toutes pièces dont la vie ne sera que pure spéculation de l'auteur. Thèse et antithèse.


Personnellement la Part de l'autre est un livre que je voulais lire depuis longtemps. Un livre qui se penche sur le passé de l'homme le plus détesté du XXe siècle? Il n'en fallait guère plus pour attiser ma curiosité. Mieux encore! Un livre qui prend le parti de le suivre de sa jeunesse adolescente à sa mort de vieux dictateur usé par la démesure de ses ambitions. Quand à l'option du Adolf H fantasmé ce n'était juste que du bonheur. Bien sur on pourrait attaquer le livre sur quelques justesses historiques (Hitler le vrai haïssait Mickey Mouse). Bien sur il serait facile de critiquer les choix de vie sans concessions faits par les deux Hitler. Seulement, jamais le livre ne tombe dans l'invraisemblance, les deux personnages restent en parfaite adéquation avec eux mêmes, réagissent avec leurs moyens aux situations, évoluent de manière complètement opposées certes mais en fonction de leurs caractères et de leurs expériences de vie. Le livre n'est certainement pas parfait mais il offre deux cheminements de pensées qui amènent un même individu sur deux chemins différents et ces deux chemins de pensées restent cohérents de bout en bout et parfaitement plausibles.


Qui à part Hitler lui même aurait pu dire de son vivant ce qu'il avait éprouvé en son temps? En vérité personne mais c'est ce travail de reconstitution romancée auquel s'attaque l'auteur. Mélange de témoignages et d'archives, Schmitt s'est permis de retracer l'histoire d'Hitler depuis son échec à l’Académie quand il n'était qu'un adolsencent plein de rêves comme tout les autres. Ce Hitler vagabond sera au départ plus sympathique que celui ayant été reçu aux Beaux Arts. Il n'a à l'époque aucunes tendances antisémites, il se confronte juste pour la première fois à la réalité. Un mur gigantesque qui entraîne la fin progressive de tout ses espoirs de devenir artiste. Nous suivrons ses errances vagabondes dans Vienne un peu à la manière de celles de Holden dans l'Attrappe Coeur. Le jeune homme restera bloqué dans ses frustrations, il s'était jusqu'alors toujours persuadé d'être hors normes et d'être destiné à un destin exceptionnel, pourtant il ne sera jamais reconnu en tant qu'artiste et tombera de plus en plus bas dans l'échelle sociale. Pourtant ses rêves et ses ambitions demeurent toujours les mêmes bien que sa pureté adolescente deviennent peu à peu colère et frustration. Génie non reconnu, idéaliste bombardé de grandes idoles comme Schonerer, Goethe et Nietzsche, le jeune homme se réfugie de plus en plus dans une idéalisation de lui même pour fuir la médiocrité de sa vie réelle, celle qu'il vit au quotidien


A l'inverse, le Hitler fantasmé s'épanouit au fur et à mesure. Il prend conscience de la réalité et des autres, il affronte ses névroses liées à la sexualité contrairement à son double qui fuit toute relation avec le sexe opposé. Il rencontre le grand Sigmund Freud, apprend à vraiment utiliser ses émotions dans la peinture et se rend compte à quel point ce qu'il avait peint jusqu'à maintenant était vide et médiocre. Il trouve l'amour et le perd. Le Hitler fantasmé entre déjà dans des rails qui le font avancer comme n'importe quel adolescent, il apprend à faire le deuil de son enfance, se tourne vers les autres et surtout vers lui même. Il accepte son passé, se tourne vers l'avenir. Accepte sa sexualité, accepte les sentiments des autres à son égard. L'un vit dans le réel, l'autre se réfugie dans ses songes.


A l'approche de la guerre 1914_1918, les deux personnages réagissent de manière drastiquement opposés. Pour l'artiste, c'est la menace de tout perdre, sa carrière d'artiste, son amitié avec les deux jeunes hommes qui partagent sa vie, toutes ses perspectives d'avenir. C'est tout son univers qui s'effondre. Mais pour le Hitler vagabond c'est exactement l'inverse, il renonce à une vie de précarité et d'errance psychologique pour de nouvelles certitudes et de nouveaux fantasmes. La guerre lui offre un ennemi à haïr la France , une culture à honorer -l'Allemagne toute puissante-. Elle lui offre un regain d’intérêt pour l'humanité quand il se joint à des jeunes autour d'une même table pour se soûler comme des futurs camarades de guerre. En devenant fanatique petit à petit, Hitler fuit toutes ses contradictions et les remplace par des certitudes, ses frustrations deviennent de nouveaux moteurs, il arrive progressivement à intégrer les discours antisémites qu'il méprisait jusqu'alors. Il n'est plus un gamin qui fuit la réalité, sa sexualité et tout contact avec l'humanité, il est un soldat fier qui se bat pour de grandes causes, pour un idéal


L'écart entre les deux personnages se creuse encore d'avantage jusqu'à la mort de nos deux protagonistes et il faut admettre que le tout est finalement très prenant. Adolf le peintre connaîtra beaucoup de choses après la guerre, il rencontrera le deuil, le succès, l'ingratitude, puis la vieillesse dans un cadre très différent des derniers jours du Führer. Hitler le dictateur deviendra littéralement ligoté à son idéal et de plus en plus loin du reste l'humanité perdant peu à peu toute empathie pour son prochain. Le livre ne s'attarde pas sur la Shoa, Schmitt reconnait lui même qu'il tenait à faire intervenir bien d'autres personnages dans son récit mais qu'il n'arrivait pas à les inclure dans son récit qui était déjà bien dense (comme Einstein).


Pour moi la Part de l'autre est un livre à lire, Schmitt n'essaie pas de nous faire éprouver de l'empathie pour le dictateur, il tente seulement de retracer une histoire et d'en extrapoler une nouvelle qui serait son opposée. Comprendre n'est pas pardonner comme il le dit lui même. En revanche le texte est une vraie réflexion sur les processus mentaux qui mènent à l’extrémisme. Les deux histoires restent intéressantes de bout en bout et l'auteur se permet d'extrapoler l'histoire telle qu'elle l'aurait été si le nazisme n'avait pas pris une telle ampleur.

Algernon89
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le 8 mars 2017

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Algernon89

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