L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue. Ainsi pourrait-on résumer grossièrement le propos de cet ouvrage de Balzac. On pourra également y voir une réflexion sur le désir et le paraître, qui sont ici des thèmes assez centraux.


Raphaël de Valentin, jeune homme prometteur, prend une lourde décision : après avoir perdu son dernier sou dans une maison de jeu, il part droit vers la Seine pour s’y noyer. En chemin, il trouve chez un antiquaire une mystérieuse peau de chagrin qui lui promet de combler le moindre de ses désir, en échange de sa vie. En effet, plus le vœu est important, plus la peau rétrécit, et sa vie se raccourcit. Après avoir profité de son nouveau pouvoir, il en entrevoit rapidement le revers de la médaille, et s’astreint dès lors à une vie monacale que seule vient troubler l’amour de sa jeune voisine.


Le livre est intéressant dans sa construction : ainsi, si le récit commence par la décision de Raphaël de se suicider, on est vite rattrapé par le récit, après les bacchanales résultantes de son premier souhait, de sa vie avant le début de récit, sur sa vie vertueuse, ses attentes et espérance, et particulièrement sur l’histoire d’amour qu’il vit avec Féodora, une aristocrate qui le manipule et le pousse à consumer ses maigres ressources pour maintenir l’illusion d’appartenir au même monde qu’elle. Cette course à l’amour (et à la richesse) est assez ironique puisqu’il se ruine au contact d’une femme indifférente et méprisante, alors qu’il ignore sa pauvre voisine, belle et tendre, mais pauvre. Ainsi qu’il se l’avoue lui-même, il ne peut être amoureux d’une personne pauvre, ce qu’il est précisément lui-même.


Peut−être est−ce en moi une dépravation due à cette maladie humaine que nous nommons la civilisation ; mais une femme, fût−elle attrayante autant que la belle Hélène, la Galatée d'Homère, n'a plus aucun pouvoir sur mes sens pour peu qu'elle soit crottée. Ah ! vive l'amour dans la soie, sur le cachemire, entouré des merveilles du luxe qui le parent merveilleusement bien, parce que lui−même est un luxe peut−être.


Une partie de l’intrigue se base donc sur cette dichotomie entre la réalité et ses aspirations. L’autre intrigue va se baser sur la gestion de cette peau de chagrin. Car Raphaël comprend bien vite que, s’il n’y prend gare et se laisse aller, sa vie va fondre comme neige au soleil. Ainsi, il va tenter de brider ses moindres désirs en s’entourant de personnel près à devancer ses désirs et en s’infligeant un mode de vie pour le moins strict, dont est exclue la moindre surprise, la moindre envie, le moindre souhait. Prisonnier dans sa cage dorée, il va retrouver, par le plus grand des hasards, Pauline, devenue riche elle aussi. Dès lors, cet amour va venir briser ses barreaux et rompre ainsi la monotonie d’une vie valant à peine la peine d’être vécue, mais ceci au prix de sa santé. On peut y voir une volonté de l’auteur de nous prouver que si l’on ne doit être conduit par ses désirs, on ne peut cependant complètement les brider, sous peine de s’infliger une peine sans doute plus grande que la frustration. Et n’ayant pas su choisir un bord raisonnable, Raphaël, après avoir tenté par les moyens de la science et de la médecine, de prolonger sa vie fuyante, s’exile dans une maisonnette de montagne, loin de tout le faste dont il avait rêvé pour voir s’égrener les derniers jours de sa vie, des jours empreint de mélancolie, de tristesse et de remord, lui qui voulait primairement se suicider. Et c’est finalement la vue de Pauline qui aura raison de son dernier souffle de vie, de son dernier désir.


Un livre ma foi assez profond, au déroulé assez inattendu, et au personnage assez attachant, bien plus que ne l’est le Dorian Gray de Wilde duquel Raphaël de Valentin peut être rapproché, dans sa quête des plaisirs de la vie, qu’il paie lui aussi d’un lourd tribut. Comme souvent, l’orgueil est ici punit.

Chat-alors
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le 24 août 2017

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Chat-alors

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