Autour du marquis de Sade : complaisance et omissions

          « Célébration » du bicentenaire de la mort de Sade, exposition au Musée d’Orsay… manifestement, on n’en a jamais fini avec Sade ! Il va, il vient ; des universitaires,  des chercheurs, des auteurs  et autres « animateurs culturels médiatiques » nous le rappellent régulièrement à notre bon souvenir.
Le 17 octobre 2017 à 12h - Auditorium du musée d'Orsay - ouverture de la conférence de presse : Annie Le Brun, écrivain, et Laurence des Cars, directrice du musée de l'Orangerie, toutes deux commissaires de l'exposition, discutent de Sade.

Annie Lebrun aura ces mots : « Sade, c’est un changement de sensibilité.»


              Tout est dit. Nous sommes maintenant prévenus.



       Mais au fait, qui est Sade ?  Et qui sont celles et ceux qui s’évertuent à le faire exister tout en omettant soigneusement de préciser que Sade était un pornographe grapho-maniaque, sociopathe et tortionnaire ?

C’est tout le sujet de l'ouvrage Marquis de Sade - complaisance et omissions dont toutes les citations (en italique) sont extraites de « La philosophie dans le boudoir » qui a pour auteur Donatien Alphonse François de Sade, tantôt comte, tantôt marquis : l'ouvrage est disponible ici chez Amazon.




Extrait :


            De Noëlle Châtelet, Laurence des Cars… philosophe, auteure… à Annie le Brun, commissaire générale de l’exposition 2014 « Sade. Attaquer le soleil » au musée d’Orsay, en passant par Catherine Millet de la revue Artpress, depuis Simone, la « de Beauvoir », femme enrubannée, Sade n’a pas cessé d’exercer sur la femme lettrée de la bourgeoisie une fascination emprunte d’un intellectualisme mondain complaisant, bavard et souvent creux.

Certes ! Nous ne sommes pas complètement dupes : célébrer le Marquis de Sade quand on est une femme, n’est-ce pas le signe d’une tolérance à toute épreuve et d’une maturité accomplie ? L’entourer de ses soins, n’est-ce pas affirmer que l’on a fait la paix avec le sexe opposé mais néanmoins ami ? Et puis, n’est-ce pas finalement et tout simplement à la fois gratifiant et « fashion » - un snobisme « germanopratin » y jouant un rôle certain -, de prendre sous son aile ce petit marquis victime des sentences d’excommunication d'un régime, d'une société, d'une organisation de l'existence qui n’auraient rien compris à ce chérubin bouc-émissaire d’un siècle étriqué et liberticide ?


      Les femmes de la bourgeoisie ont Sade ; les filles et les femmes de la classe ouvrière, le magazine « Détective » et les biographies des tueurs en série étasuniens de préférence, de gros pavés de 700 pages traduits de l’américain ; il est vrai que comparés à ces tueurs (jusqu’à 60 victimes sur toute une vie), nos tueurs en série à nous européens, ne sont que des artisans, voire des amateurs ; normal ! Ces tueurs étasuniens appartiennent à la première puissance au monde destructrice de l’environnement, de la culture et des nations.
Revenons aux lectrices de Sade. Qu’est-ce à dire ? Ces femmes de la bourgeoisie contemporaine seraient-elles férocement attirées par les conduites sadiques ? Ces femmes lettrées rejoindraient-elle Sade dans son opinion à propos des femmes et de leur cruauté ? Cruauté non assumée le plus souvent ; d’où leur repli sous l'ancien régime et après, vers des œuvres de charité pour conjurer un penchant auquel le siècle de Sade n’offrait plus d’exutoire, voire de bouc émissaire, depuis la fin des jeux de la Rome antique ?

Mais... motus et bouche cousue de ces femmes sur ce sujet : pas un mot pour ou contre. Il est vrai qu’il y a des pages qui se tournent précipitamment pour en lire d’autres, sans doute moins dérangeantes.


      Les hommes, en revanche, n’ont que peu de temps à accorder à Sade, mais un peu plus de temps quand même s’ils sont payés pour ça : universitaires et chercheurs. Car très vite, ils s’y ennuient : ce que Sade a en partie fantasmé, en partie exécuté, ce avec quoi il s’est amusé, et ce à quoi il consacré son existence, les hommes l’ont mille fois approché, dompté et apprivoisé avant de s’en débarrasser d’un haussement d’épaule salutaire ; certains ricanent même à la lecture de Sade car ils n’en croient pas un mot : Justine - cette œuvre subversive car obscène, et seulement pour cette raison -, peut bien souffrir à longueur de pages, non, elle ne souffre pas… pas vraiment du moins ! Il n’est question que d’un auteur, Sade, qui tente de nous épater - plus esbroufeur que Sade, vous ne trouverez pas ! -, tout en cherchant une issue à ce labyrinthe, principalement mentale qu'est son existence  - en effet, Sade c’est une expérience existentielle principalement fantasmatique, voire fantasmagorique -, dans laquelle il se débat et se noie un peu plus chaque jour ; gigantesque cul-de-sac et prison tout à la fois.
Les femmes soutiennent Sade, c'est sûr ! Renée-Pélagie de Montreuil, son épouse, ne fut d’ailleurs pas la dernière à tenter de le sauver des années durant ; aujourd'hui, les femmes le portent encore à bout de bras tentant de le sauver quand tous l’abandonnent ; elles y reviennent toujours, génération après génération, la mère, la fille… elles le ressuscitent quand l’oubli menace, tout en le redoutant quand même un peu, lui et ses turpitudes, hallucinées, car Sade c’est le serpent pourtant aveugle qui vous fixe du regard et vous cloue sur place ; sa langue frénétique qui ne connaît aucun repos - son dard, son sexe ? -, vous jauge, puis, à la vitesse de la lumière, vif comme l’éclair, plus rapide encore que le sabre d’un Samouraï qui tranche une gorge, une tête, un membre, il frappe. Et c’est alors qu’elles l’ont « dans le cul » ! Dans le sens de « se faire avoir » ; ce qui signifie : ne pas goûter à ce à quoi elles pouvaient raisonnablement craindre de devoir se soumettre ; car Sade et « sa philosophie-lupanar », philosophie fourbe qui frappe toujours par derrière, c’est aussi un grand bluff, un gigantesque bluff.
Oui ! Les femmes lettrées de la bourgeoisie contemporaines courent après Sade comme on court après ce qui ne vous rattrapera jamais, dans une vie hyper-sécurisée ; alors… elles courent… histoire sans doute de côtoyer, sur le papier, ce à quoi elles n’auront jamais la malchance d’être confrontées : à l’arbitraire et à l’humiliation des dominés, pour ne rien dire d’une cruauté sans regrets et sans remords, tout en n'oubliant pas aucun des sévices du catalogue de notre marquis et aucun des instruments de sa panoplie non plus.

Voyez l’auteure Christine Angot venue à la littérature par l’inceste et qui n’a, dans les faits, rien compris à Sade et ses lectrices très très majoritaires non plus. Rien de surprenant à cela, Angot n’a pas les bons diplômes – Agrégation, doctorat -, et ne fréquente pas les réseaux appropriés ; plus navrant encore : elle n’est pas issue de la bourgeoisie mais de la petite classe moyenne, très moyenne, de la province ; car seule la bourgeoise - lettrée et d’affaires - porte Sade en elle ; sans jamais vraiment se décider à l’accoucher, elle le garde au chaud, elle le trimballe dans ses valises depuis deux siècles, des mouroirs de la première Révolution industrielle à la Grande guerre ; patrons et Généraux pour décider de qui montera au front, sous le feu et qui en sera exemptés, disposant d’un quasi droit de vie et de mort sur toute une population de pauvres bougres et autres hères à la merci : des classes dures au labeur qui, chaque matin, assument le principe de « réalité » d’un monde de production et d’optimisation de la ressource humaine – bras, jambes, sueur et sang.


L’auteure Angot et ses lectrices croient comprendre que Sade c’est une histoire de vocabulaire : soyez crus, appelez un chat un chat et vous ferez du Sade ! « Bite » et « con » ; dans la cour d’une école primaire : « pipi et caca » ! Un peu comme ces auteurs qui croient qu’il suffit d’être antisémites pour faire du Céline, alors que la folie de ce marquis de Sade désœuvré prend racine dans le fait qu’il ait pu penser un instant qu’il soit possible, souhaitable et hautement louable même d’être « Sade » et de le clamer haut et fort, tout en revendiquant une impunité totale ; folie qui ne trouvera jamais sa cure de son vivant, même si, depuis, ses lecteurs et tous les travaux à son sujet, lui ont sans doute permis de trouver un peu de repos, là-haut, de là où il nous observe tous. Et l’on peut raisonnablement craindre qu’il ne soit hilare en lisant une partie de la production qui lui est consacrée.


    Sade a beaucoup écrit. C’est vrai. Grapho-magniaque Sade ? On serait tentés de le penser : des milliers de pages… répétitives car, avec Sade comme avec Wagner et Nietzsche, il est toujours question d’un éternel retour : le retour éternel de Sade qui ne lâche pas l’affaire… la grande affaire… l’affaire de sa vie ! Et c’est alors que Tristan et Iseult cèdent la place au couple "domination-humiliation", "foutre et merde". De plus, accordons à Sade le fait qu’il aura été sans doute le seul auteur dont la folie  - une folie irrémissible -, a eu comme première manifestation la plume car il n’a rien gardé pour lui le marquis ! Il a tout écrit, tout partagé ; il nous a tout livré en pâture et en vrac. Alors que le problème d’une Catherine Angot, pour en revenir à cette dernière, n’est pas la folie car n’est pas fou qui veut, mais son seul souci : vendre des livres en écrivant des livres qui se vendent. 



L'ouvrage est disponible ici chez Amazon.

sergeuleski
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le 24 nov. 2018

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