Sentiments très mitigés après la lecture de cet ouvrage du philosophe Jean François Braunstein "La philosophie devenue folle".
Sur le plan formel, cet ouvrage d'un peu moins de 400 pages se lit assez aisément avec un style simple, percutant, sarcastique et polémique. L'ouvrage est structuré, comme son sous titre l'indique en trois grandes parties: le genre, l'animal, la mort, de longueur assez proche, qui s'étendent souvent sur dix à trente pages ou alternent le développement principal et des incises encadrées. Derrière ces titres génériques Braunstein aborde:
- dans le Genre, la question transsexuelle, l'identité sexuelle et de genre, les diverses formes de sexualité, l'amputomanie ;
- dans l'Animal, l'antispecisme, la zoophilie ;
- dans la Mort, l'euthanasie, l'infanticide, le prélèvement d'organes.
Sur le fond c'est beaucoup plus discutable. En fait, plus que les trois thèmes qu'il prétend aborder, Braunstein règle surtout ses comptes avec quatre auteurs- John Money et Judith Butler sur le genre, Peter Singer et Donna Haraway sur les animaux et l'euthanasie et des gens qu'il présente comme leurs epigones ou admirateurs. Et de ce fait, plus qu'une véritable réflexion Braunstein s'inscrit dans une sorte de connivence malsaine qui le conduit à discréditer les thèses de ces auteurs sur le sujet, bien plus qu'à livrer sa propre réflexion qui pourrait tenir en deux idées phares: les bons sentiments nous conduisent à l'horreur nous ne devons pas franchir certaines limites pour les éviter.
Or si l'on n'est pas obligé d'adhérer aux théories de Singer ou de Butler, la façon de raisonner de Braunstein pour les contrer est dérangeante parce que superficielle, voire malhonnête. D'une part, elle consiste à mélanger l'intégralité des positions de ces auteurs sur les divers sujets abordés pour les présenter sous un jour abject au fil de l'ouvrage. Du coup les thèses qu'ils défendent sont presque davantage supposées invalides parce qu'ils en sont les auteurs que par elle même. Cela pouvait se présupposer au vu de la structure des chapitres et Braunstein y saute à pieds joints. Ensuite et surtout, sa critique repose sur des argumentaires parfois très pauvres, qui consistent à reposer:
1) sur un credo moralisateur excluant- certaines questions ne devraient pas se
poser-,
2) sur une démagogie à la petite semaine- de toute façon ce sont des universitaires déconnectés qui ne savent pas de quoi ils parlent, voyez les "vrais" spécialistes- biologistes pour le genre, chasseurs et agriculteurs pour les animaux...,
3) de justification de l'absurdité du raisonnement de certains par leurs dissonances cognitives- ce qui ne prouve rien en soi,
4) d'assimilation hâtives- John Money est présenté comme l'inventeur du concept de genre et a conduit des expérimentations tout à fait condamnables donc Judith Butler qui pense aussi en termes de "genre" et qui est dans sa lignée conceptuelle ferait de même si elle le pouvait,
5) d'interprétations fallacieuses des œuvres qu'il cite lui même- à l'image d'un passage de Singer qui explique qu'il ne faut pas refuser de débattre de l'euthanasie au motif que les nazis l'ont pratiqué, pas plus qu'on a arrêté de construire des routes, habilement transformé en Singer fait l'éloge des autoroutes nazies mais dans la réédition de son livre il a préféré supprimer ce passage (clin d'œil avec le lecteur nous sachons tout ça).
Le tout entrecoupé de citations de Michel Houellebecq (pourquoi pas) dans lequel il voit un des meilleurs analyste de la réalité de nos sociétés contemporaines (c'est un axiome discutable).
En conséquence que reste t'il à la fin de cet ouvrage ? Un riche patchwork de citations mises bout à bout, mais dans le style BHL, pour susciter l'indignation, le dégoût et l'ironie, qui au mieux discréditent davantage les auteurs ciblés que les thèses attaquées. Le principal bénéfice est que c'est une belle compilation de références pour qui voudrait en savoir plus sur ces auteurs dénoncés et pas toujours très connus et les notes de bas de page sont nombreuses et sourcées.
Côté négatif, Braunstein à in fine beaucoup dénoncé, peu démontré : c'est particulièrement flagrant sur la question de l'euthanasie où il se borne pour l'essentiel à brosser un tableau de Singer à charge- le taclant et pas forcément à tort, sur les positions de celui ci sur l'euthanasie, la distinction entre vies dignes d'être vécues ou non, et ses propos sur l'infanticide. Mais cette généralisation s'avère contre productive: à la question du bien fondé de l'euthanasie et de ses conditions Braunstein arrive à une conclusion à l'image de son livre: Singer soutient l'euthanasie et Singer défend des positions insoutenables par ailleurs.
Bref on n'est pas plus avancé, on a ricané, on a choqué et les questions de fond demeurent sans véritable réponse sauf à considérer qu'en somme, face à ces "fous" Braunstein incarnerait le bon sens. C'est vraiment un peu court.