La Plaisanterie
7.8
La Plaisanterie

livre de Milan Kundera (1967)

La Plaisanterie est le premier roman de Kundera. Ce n'est pas, de ma petite expérience en la matière, le meilleur. On y retrouve certains des grands traits qui caractérisent son oeuvre : une certaine audace narrative (le point de vue est éclaté entre plusieurs personnages, et l'histoire nous est racontée de manière non-chronologique), des grands thèmes, des éléments de décor, etc. Toutefois, le “sous-titrage” y est moins présent — contrairement à *L'Insoutenable Légèreté de l'être”, on ne trouvera pas de longs passages explicatifs des thèmes centraux du roman, qui font tout le charme de Kundera. Les résolutions philosophiques y sont beaucoup plus brèves et resserrées, même si elles sont parfois remarquables (le passage où Ludvik se rend compte que “tout sera oublié et rien ne sera réparé”, qui sert de 4e de couverture à la plupart des éditions, en fait partie ; même si on peut regretter qu'il soit aussi vite éventé, comme un spoiler métaphysique d'un nouveau genre.


On pourrait croire, vu de loin, que la relative discrétion des passages discursifs dans l'oeuvre serait en faveur d'une expansion et d'une complexification de la narration. En fait, ce n'est pas vraiment le cas. La Plaisanterie est manifestement construite autour d'un axe, l'histoire de Ludvik, qui porte finalement l'ensemble de la charge morale du roman. Cette histoire-ci est très réussie : Ludvik, déchu pour une farce absurde, aliéné à sa vie et au destin qu'il s'imaginait, finit déçu et dépossédé de sa vengeance par le simple effet du temps (comme si Edmond Dantès, volant la fortune de Danglars, était finalement remercié par celui-ci qui voulait quitter son métier de banquier pour vivre une vie plus simple) ; et, ce faisant, gâche tout sur son passage (tant avec Lucie qu'avec Héléna). Mais certains personnages accessoires, comme Jaroslav ou Kostka (voire même les passages narrés dans la perspective d'Héléna, un peu pénibles) sont beaucoup moins prenants. On sent que Kundera a compris l'intérêt narratif des disjonctions de personnages — explorer via des contre-feux les personnages, cf. par exemple les révélations sur Lucie que nous apporte Kostka — mais n'a pas encore maîtrisé pleinement l'équilibre du dispositif — cf. Jaroslav ou Kostka, qui portent de façon un peu hâtive un propos un peu trop évident. L'efficacité n'est donc pas tout à fait au rendez-vous, en dépit de l'indéniable intelligence du roman.

Venantius
7
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le 3 janv. 2016

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