Au deuxième arrêt sur la route d'une rétrospective Jean Patrick Manchette, La position du tireur couché. Souvent considéré comme l'apex de l'écrivain aux multiples facettes, on débute la lecture avec un sentiment de familiarité. Pour peu que vous ayez déjà croisé Dashiell Hammett ou Richard Stark sur le chemin, vous aurez forcément l'impression d'en découvrir un héritier en ligne direct avec ce roman. Et pour cause, l'auteur reconnaît avoir tenté ici un retour aux sources du hard-boiled, cette écriture concentrée sur les actions et non la description ou les états d'âmes. Ce n'est pas que Le petit bleu de la côte ouest était extra-terrestre au genre, très loin de là même. Sauf qu'avec le succès, nombre d'imitateurs firent leur beurre sur le dos de Manchette en tentant de reproduire grossièrement ses motifs. En réaction à cela, ce dernier décide de mettre les points sur les i et de clore le cycle infernal lui-même.
Pari réussi, je dois dire. La signature est balistique, pas un pet de gras, pas une phrase qui tombe à côté. Rien pour détourner l'attention. L'intrigue est également plus resserrée dans le temps, on y gagne beaucoup en nervosité. Compte tenu de la nature du personnage principal (Martin Terrier, tueur à gages), le déroulé des évènements parait plus crédible que pour Le petit bleu de la côte ouest. Lucide quant à l'image qu'il véhicule depuis sa percée dans le monde littéraire, Manchette semble couper l'aspect politique qui jalonnait discrètement ses histoires. De là à croire que l'artiste engagé s'est mis en veille, il y a un pas qu'il serait inopportun de franchir. À travers le parcours extrêmement concret de cette nouvelle chasse à l'homme, l'écrivain théorise la chaîne funeste qui guide inexorablement l'existence de son personnage. On perçoit un fatalisme désabusé derrière cette fuite en avant illusoire qui masque sa nature circulaire. Très efficace, assez amère, une pointe de pathétisme pour finir le voyage ; pouvait-on imaginer autre fin ? Pour le roman, non.