Très bon petit livre, que je découvre à l'occasion de son entrée au programme de littérature en classe de terminale, comme œuvre intégrale. Pour cette raison, il est quelque peu emblématique car il fait suite à la pétition de Françoise Cahen auprès de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, pour dénoncer l'absence de femmes au programme officiel. Doublement emblématique si nous considérons que Madame de La Fayette, également auteure de La Princesse de Clèves, avait été prise pour cible par le président précédent, Nicolas Sarkozy.
Au-delà des considérations politiques et médiatiques, l'ouvrage est d'un style incomparable, sobre et concis comme les chefs d’œuvre du classicisme. Je ne me suis pas ennuyé en lisant ce roman (cette nouvelle ?) d'une traite, et il m'a donné envie de lire les autres ouvrages de Madame de La Fayette. La princesse de Montpensier est aimée par pas moins de quatre hommes (!), au profil très différent. Il y a le mari jaloux, prince de Montpensier (Molière n'est pas loin, en plus tragique cependant), le nice guy qui reste dans la friendzone ("mais pourquoi ne m'aime-t-elle pas alors que je fais tout pour elle ?" résume les pensées du Comte de Chabannes), le séducteur dont la princesse est amoureuse, également persécuteur des protestants, le duc de Guise, et enfin le noble rival capable aussi de perfidie, le duc d'Anjou.
Le cadre historique donne une saveur particulière à l'ouvrage ; nous en apprenons plus sur cette sombre époque de l'histoire française, celle des guerres de religion, marquée de façon paroxystique par le massacre de la Saint-Barthélémy. Entre les guerres et les sièges, les vengeances et les pièges tendus aux ennemis protestants, se place cette romance fictive. Tout se passe comme si dans les interstices de la grande Histoire, cruelle et peinte de façon réaliste, pouvait se dérouler le fil d'intrigues amoureuses limitées par les convenances mais potentiellement dangereuses. Dangereuses pour qui ? Surtout pour la princesse en fait, écartelée en définitive par les mœurs de l'époque et le machisme des aristocrates, qui dirigent alors la France. Les hommes ont leurs exploits guerriers ; les femmes n'ont rien, elles ont tout à perdre si la romance échoue, les hommes seulement un peu de leur réputation. C'est pourquoi La Princesse de Montpensier est effectivement un ouvrage féministe, à la même époque que la duchesse Margaret Cavendish de l'autre côté de la Manche.
Enfin, il serait précipité selon moi de lire le livre comme une sorte de fable insipide et moralisante sur la nécessité de réfréner ses désirs. Comme l'a montré Gilles Deleuze dans Mille Plateaux, Madame de La Fayette est une génie du désir et de l'état crépusculaire. Elle exprime l'affect de la joie de désirer, que la jouissance de l'objet supprimerait. Accomplir un désir, c'est justement y mettre fin ; ne pas l'accomplir, c'est désirer sans fin. C'est une forme de rupture de la subjectivité, un refus d'être assigné à ce que la société ou le prétendu bon sens attendent de nous. Voilà pourquoi Madame de La Fayette est bien plus "révolutionnaire" que bien des écrivains libertins mâles, qui se contentent de faire de la femme un objet désiré qui résiste pour être mieux chosifié ensuite et assouvir le désir d'un quelconque Don Juan. Ce que je résumerais par la maxime "Je sais mieux que toi ce qui te donneras du plaisir sexuel" (Sade, Musset...).