« Tout a déjà été dit cent fois, et beaucoup mieux que par moi », fanfaronnait Boris Vian en 1962, deux ans après la sortie de « La promesse de l’aube » de Roman Gary. Et il est vrai que beaucoup de choses ont été dites sur ce chef d’œuvre qui a bouleversé tant de lecteurs et qui continue de traverser les générations. Un jour on décide de s’y mettre. Et on comprend.

« La Promesse de l’Aube » est avant tout une immense déclaration d’amour d’un fils avec sa mère. Cet amour imparfait, radical, était à la fois son moteur et sa chape de plomb. Ce sont toutes les ramifications et les ambigüités d’un lien filial quasiment castrateur qui sont décrites dans ce livre.

Si Mina, la mère de Romain Gary, l’a élevé seule et l’a aimé pour deux, voire trois, cette adoration n’avait pour égal que le poids des ambitions qu’elle a fait peser sur ses épaules dès l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Elle l’a rêvé musicien, sportif de haut niveau, cavalier, auteur à succès, héros romantique séducteur et artiste, ambassadeur. Promis à un destin glorieux. Si certaines de ces vocations, on le devine, se sont vites révélées être vouées à l’échec, Romain Gary a su ultimement tenir sa promesse en devant aviateur pendant la Guerre. C’était le moins qu’il pouvait faire pour cette femme qui a tout sacrifié pour son fils, quitte à vivre par procuration à travers lui.

La Promesse de l’aube, c’est la mélancolie de l’enfant qui a aimé sa mère avec passion, qui l'a détesté avec honte, et qui l'a regretté quand elle est partie. Qui peut-être ne l'a jamais vraie comprise. Romain Gary, au de-là de toutes les frontières, touche au Sacré : la marque indélélibile du lien maternel, qui avec le temps qui passe, laisse place une toile de regrets et de remords. Gary raconte son apprentissage pour devenir adulte, et avec lui la réalisation cruelle des années laissées derrière soi. Et parfois des proches. Dramatique, poignant, La Promesse de l’aube touche droit au cœur.

C’est aussi un roman incroyablement bien écrit et truffé d’humour. Il maîtrise l’art du second degré, et décrit des tranches de vie hilarantes et tendres avec bien entendu une maîtrise totale de son art. Cet humour, Romain Gary le revendique comme un droit à la dignité : « l'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. ». Son style taquin et haut en couleurs instaure une vraie complicité avec le lecteur. On ne s’ennuie pas une seule seconde, et on peint avec lui tous les contours de ses souvenirs, entre le bleu de la Méditerranée, la neige de la Pologne, l’acier de la Guerre.

On entre également dans l’intimité et l’imaginaire de ce duo incongru, avec sa toile de références, et de symboles historiques et culturels. D’origine russe, Romain Gary nous transmet également la mythologie de son pays d’origine à travers les yeux et les contes de sa mère, dans un monde où le romantisme mérite tous les sacrifices, par temps de paix ou par temps de guerre. Car au fur et à mesure que le roman avance, le ton se fait plus grave: Gary peint une France coupée en deux, et surtout une guerre absurde dont il ressortira orphelin.

Perdu dans un désert de solitude, il y composera un chant d'amour intemporel et plein d’humanité.

Silencio
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le 23 sept. 2022

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Silencio

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